|  Les 
          fleurs en celluloïd sont vraies à conditionqu'on ne cherche pas à les faire passer pour de l'écaille.
 Francis Picabia
   La rumeur 
          est une valeur à la hausse actuellement. Dans les médias 
          en particulier: on se sert par exemple d'une «écriture 
          rumorale» [2] dans la titraille, 
          comme «moyen d'accroche, même si le contenu de (l')article 
          de presse lui «tord ensuite le cou"» [3], 
          voire comme tête de rubrique (par exemple, dans le Belgian 
          Business Week). Un article sur quarante emploierait du reste le 
          mot "rumeur" dans son contenu, dans les quotidiens généralistes 
          (2,5% des articles [4]). Or il 
          y a, dans la conception que l'on se fait du phénomène 
          de la rumeur, un je ne sais quoi d'archaïque: le mode de diffusion 
          de la rumeur rappelle trop une Gemeinschaft [5] honnie et refoulée dans les sociétés 
          autoproclamées "de l'information" ou de la communication (tautologie! 
          diraient certains [6]). Le bouche à 
          oreille, voyons, ce n'est pas convenable, à l'époque du 
          satellite et des ordinateurs! Pourtant, les canaux informels sont constamment 
          sollicités par la circulation des informations: 49 % des 
          Américains apprirent la nouvelle de l'assassinat de Kennedy par 
          la voie du bouche à oreille [7]... Le phénomène 
          de rumeur est cependant distinct de celui de diffusion informelle des 
          informations. Nous essaierons ici, en particulier, de cerner les trois 
          aspects qui lient la rumeur dans son rapport au temps: sa prétention 
          à l'actualité, son surgissement éphémère 
          et cyclique à la fois, et en fin son mode d'apparition dont nous 
          faisons l'hypothèse qu'il est plus conjoncturel que prévu.     
          Rapide historique de la recherche  Le sens 
          du mot "rumeur" est plus récent qu'on ne le pense: il date approximativement 
          de la dernière guerre mondiale, façonné des chercheurs 
          américains au service de l'Armée, à l'écoute 
          de son moral [8] et des propagandes ennemies. Indicateur fragile mais 
          frappant de l'intérêt pour les rumeurs, un indicateur bibliométrique 
          (cf. graphique A) montre que les premiers articles datent du 
          début du siècle [9], mais que l'effort continu de recherche sur cet objet 
          ne naît qu'au milieu du siècle [10] 
          et enfle de manière exponentielle jusqu'à nous [11],[12].    
           
            | Graphique 
                ACourbe bibliométrique de la rumeur
 
 Nombre 
                d'articles publiés sur la rumeur, par décade. Base 
                n=220, bibliographie en langues française et anglaise établie 
                dans FROISSART, Pascal (en cours). La rumeur, un genre communicationnel 
                à définir (titre provisoire)  |    Sa présence 
          dans le langage ne date pourtant pas cette époque [13]. 
          Expression empruntée au latin rumor, on en trouve les 
          premières traces dans un édit de 1274 du Parlement de 
          Paris où elle désigne tout autre chose: le "haro" que 
          tout citoyen est obligé au nom de la loi de pousser s'il assiste 
          à un crime, de manière à attirer l'attention de 
          la maréchaussée! Son sens a ensuite lentement évolué 
          au cours des siècles. Au XVIIe siècle, elle 
          représente un bruit social incohérent, un chaos sonore 
          porteur d'une signification diffuse. Au XVIIIe, elle désigne 
          le bruit émanant d'une lutte ou d'une sédition, moins 
          chaotique mais pas encore organisé, avant de se transformer le 
          siècle suivant en l'expression de la dénonciation publique 
          ou de la surprise devant un événement imprévu. 
          À la fin du XIXe siècle seulement apparaît 
          la différenciation des locuteurs; perdus dans une masse, dans 
          le corps d'une foule anonyme, ceux-ci sont bientôt les acteurs 
          de la rumeur. Naît alors l'idée de bouche à oreille 
          et de bruit qui court: de ce fait la rumeur peut être injurieuse 
          ou infamante, ce qu'elle ne pouvait signifier auparavant. Enfin, la 
          rumeur du XXe siècle est le résultat d'une 
          nouvelle évolution du concept, dans lequel on trouve un élément 
          étrange mais significatif: la rumeur devient information, en 
          plus de toutes ses caractéristiques antérieures. Au début 
          de son "existence", la rumeur est largement étudiée sous 
          l'angle de la psychologie sociale et de l'adéquation entre le 
          percept et le réel. Les études sur le témoignage 
          de Binet et Claparède font tant école que la rumeur n'échappe 
          à une conceptualisation en relation avec le témoignage: 
          on établit alors une procédure dite «standard» 
          [14], tirée de la psychologie behaviorale [15] 
          et qui, même rebaptisée MRS [16], n'est que la version plus ou moins scientifique 
          du "téléphone arabe". Naturellement -- mais c'était 
          contenu dans l'énoncé du problème --, on constate 
          l'absence totale de fidélité du témoignage tout 
          au long d'une chaîne de sujets... Cette conception rumeur via 
          information reste largement dominante dans les études récentes, 
          qui résument parfois abruptement la rumeur à toute  
          «information non vérifiée» [17]. Seules quelques brèches ont été 
          faites par des études parcourues par des intérêts 
          socio-psychanalytique [18] ou ethnologique 
          [19]. Que 
          trouver à redire à cette conception dominante? Elle décrit 
          bien une certaine réalité, le fait en particulier que 
          certains récits informels circulant dans le corps social évoluent 
          non seulement en énonciation mais aussi en signification -- mais 
          cela ne fait certes pas de la rumeur un objet autonome des sciences 
          sociales. Tout au plus la face cachée de l'information journalistique. Or nous 
          prétendons nous saisir du concept de "rumeur dans le temps" pour 
          tenter d'autonomiser le concept, contournant ainsi l'obstacle épistémologique 
          [20] que représente le sens 
          commun, c'est-à-dire ici l'adéquation à la réalité. 
          Situer la rumeur dans le temps, c'est lui donner la chance de fonder 
          une  «unité de la représentation» [21]. 
          Continuer à la considérer comme une variable dépendante 
          de l'information, c'est la condamner à  «n'être 
          jamais autre chose qu'unité absolue».  
          Toute 
            intuition contient en soi un divers, qui ne serait pas cependant représenté 
            comme tel si l'esprit ne distinguait pas le temps dans la série 
            des impressions successives, car en tant que contenue dans un moment 
            toute représentation ne peut être jamais autre chose 
            qu'unité absolue. Or, pour que de ce divers puisse sortir l'unité 
            de la représentation, deux choses sont requises: le déroulement 
            successif de la diversité, et le compréhension de ce 
            déroulement, acte que je nomme la synthèse de l'appréhension. 
             [22] Donnons 
          un exemple de notre démarche. Une rumeur très répandue 
          en Amérique du Nord, répertoriée dans des livres 
          à grande diffusion de type  Vraies ou fausses? Les rumeurs 
          [23], raconte que des morceaux 
          de souris décomposés (ou autres objets peu ragoûtants, 
          préservatifs, aiguilles, etc.) ont été parfois 
          retrouvés dans des canettes de Coca-Cola ou de boisson gazeuse. 
          Eh bien, c'est véridique, c'est authentique (malheureusement...): 
          402 jugements de tribunal en font foi [24]! 
          Que diraient ceux qui croient au schéma classique, où 
          seule est valorisée l'adéquation de la représentation 
          au réel? Ils affirmeraient: c'est arrivé une fois (au 
          moins), c'est vérifié, c'est officiel; ils concluraient, 
          et le sens commun avec eux, que le témoignage rapporté, 
          c'est-à-dire la représentation, est adéquate. La 
          rumeur serait aussitôt "élucidée" et transmuée 
          aussitôt en information "vraie". Pourtant, 
          la réalité est plus complexe et demande à ce qu'on 
          "plonge" le phénomène linguistique dans l'espace temporel 
          et social: le fait que le contenu de cette rumeur soit vérifié 
          n'explique en rien pourquoi celle-ci circule de manière endémique 
          depuis plus d'un demi siècle. Ni qu'elle circule au présent, 
           pour décrire une réalité  actuelle, 
          un acte  ponctuel,  alors que les faits rapportés remontent 
          parfois jusqu'en 1914 (date du premier procès [25])! Tous les locuteurs de la rumeur la résument 
          dans une phrase du genre "J'ai  un ADUA[26]qui 
          a un jour  trouvé  un morceau de verre dans  
          son Fanta". Il n'y est question que d'une performance individuelle, 
          performé par une personne seule, à l'aide d'un performatif 
          topique. Mais non d'une réalité sociale, partagée 
          par plusieurs centaines d'Américains... Le texte de la rumeur 
          fait donc abstraction de la temporalité du phénomène, 
          que notre propos voudrait cependant rétablir. Remettre un phénomène 
          intemporel dans sa réalité temporelle est notre propos.     
          Machine à transformer le passé en présent atemporel: 
          la prétention à l'actualité de la rumeur
Plaidoyer 
          pour la prise en compte du phénomène social en parallèle 
          à l'étude du texte, cette position théorique ne 
          peut pas faire abstraction des phénomènes sémantiques 
          à l'oeuvre dans le message, sitôt qu'on l'éloigne 
          de son rapport pur à la véracité. Ainsi que pour 
          les matériaux folklorique [27], des processus d'actualisation sont à l'oeuvre 
           «l'actualité échappant à la discontinuité 
          de l'éphémère parce qu'articulée sur (...) 
          les archétypes et la mémoire collective»  [28],  ramenant toujours la rumeur à un 
          présent atemporel, car hors du temps, dans un temps irréel 
          parce que toujours présent.  
          «La 
            rumeur est hors-temps. La rumeur prend la forme et la couleur de notre 
            temps mais elle parle d'un autre temps. Celui que l'on peut qualifier 
            de mythique parce qu'il est "trans-historique" [29]. La rumeur, 
          dans son "combat" contre le temps humain, n'hésite même 
          plus à proposer des récits anciens sous le jour d'une 
          histoire moderne. Dans un cas même, on a pu retrouver un conte 
          traditionnel passé dans l'univers rumoral: l'histoire de ce fils 
          prodigue qui est revenu anonymement chez lui, après une longue 
          absence; eh bien, il s'est fait dévaliser et assassiner par ses 
          parents aubergistes en mal d'argent [30]. L'actualité 
          de la rumeur est feinte par l'actualisation; ou plutôt, l'actualité 
          est un construit élaboré au cours de la transmission orale:  
          C'est 
            la rumeur elle-même qui crée l'actualité: ce qui 
            n'existe pas dans le discours du groupe n'existe pas en effet pour 
            le groupe et l'actualité se définit comme ce qui est 
            "actualisé" par la parole sociale.  [31] En définitive, 
          l'actualité est la forme rituelle d'énonciation de la 
          rumeur, texte parmi d'autres de littérature orale. C'est pourquoi 
          même les rumeurs de prédictions sont racontées au 
          présent...  
          Une 
            amie d'un de mes amis, qui est lui-même un réfugié 
            de l'Irak, était dans le tramway et quand le conducteur se 
            présenta pour recueillir le prix des billets, la dame en face 
            d'elle dit: Je vais payer pour vous car vous n'avez pas d'argent dans 
            votre porte-monnaie. -- Mais j'en ai, répliqua-t-elle. 
            Cependant en ouvrant son porte-monnaie, elle découvrit que 
            c'était vrai. -- Mais pouvez-vous aussi lire dans l'avenir, 
            ajouta-t-elle, quand la guerre sera finie? -- Je suis une voyante, 
            dit la femme, la guerre sera terminée le 15 mars.  Cet 
          exemple, reprenant la fameuse «rumeur de prédiction» 
          qui fit le tour de l'Europe lors de la Seconde guerre mondiale [32], montre comment la rumeur met en avant, au passé, 
          une actualité brûlante: le temps du méta-récit 
          ("une amie  était ") donne à la prédiction 
          l'enveloppe narrative de l'événement, et lui confère 
          cet étrange aspect atemporel en mélangeant allègrement 
          futur, passé et présent... La rumeur, dans ce maelström 
          temporel, semble  
          se 
            diffracte(r) en plusieurs degrés et niveaux de sens": le temps du récit proprement dit, qui est le temps de la 
            fiction, un temps intérieur puisant dans la mémoire 
            et l'imaginaire social les dits dont elle est faite, le temps propre 
            de la transmission qui renvoie à la réalité immédiate 
            du temps structurel et conjoncturel.
 Ces 
          trois temps diffractés, pour reprendre l'image reumaldienne, 
          font d'elle un labyrinthe dans lequel les journalistes, et autres passionnés 
          de l'information, se perdent à l'envi... avant de s'en apercevoir 
          (parfois!) après coup. «Il s'est fait avoir!», s'exclamait 
          ainsi un chroniqueur montréalais [33] 
          en guise d'  erratum, en parlant de lui-même, trois jours 
          après avoir publié sans le savoir le récit de l' 
          Elevator Incident:   
          L'histoire 
            raconte qu'un homme de peau noire se trouve dans un ascenseur avec 
            son chien, en compagnie de trois femmes de peau blanche. L'homme intime 
            un ordre au chien -- "Assis!"--, mal interprété par 
            les jeunes femmes, qui s'assoient par terre.  [34] 
             Le journaliste 
          avait relaté l'histoire après que sa "source" la lui a 
          racontée comme entièrement originale. Il n'y avait pas 
          vu malice, sa source non plus... et tout le monde avait été 
          attrapé par l'atemporalité de cette histoire racontée 
          de manière répétée et quasi similaire aux 
          États-unis depuis les années Soixante! Machine à 
          transformer le passé en présent atemporel, la rumeur se 
          mue et transmue en un événement sans date, perpétuellement 
          répété dans la pensée sociale, mâché 
          et remâché comme un grand  «chewing-gum intellectuel» 
          [35]. Cependant, 
          l'actualité perpétuelle de la rumeur, analysée 
          per se,  ne saurait faire oublier la temporalité pragmatique 
          de la rumeur étudiée en situation. Ainsi peut-on saisir 
          le phénomène social dans une globalité sociale, 
          qui permet de  «relativiser le concept d'actualité et 
          son corrélatif, l'immédiateté, volontiers reconnu 
          à toute rumeur, l'immédiateté ne caractérisant 
          que le stade d'éclosion.» [36]     
          L'apparition éphémère et cyclique du message à 
          prétention d'actualité La rumeur, 
          certes, crée sa propre actualité, grâce à 
          un processus d'actualisation similaire à celui à l'oeuvre 
          dans les récits traditionnels. Mais elle n'apparaît pas 
          au hasard du temps: de longtemps, les "rumorophiles" ont constaté 
          que ces récits à prétention d'actualité 
          reviennent, naissent et meurent, et puis renaissent... Incompatibilité? 
          non, élément constitutif du phénomène: la 
          rumeur est précisément caractérisée par 
          cet aspect apparemment contradictoire, l'énonciation répétée 
          d'un message prétendant à l'actualité. C'est un 
          des «traits invariants de la rumeur», bien que le mode d'apparition 
          de la rumeur soit loin d'être élucidé. Est-ce un 
          phénomène cyclique, ou simplement la renaissance aléatoire 
          d'une légende moderne [37]? 
          Les réponses diffèrent, selon la conception personnelle 
          que les chercheurs ont de l'origine de la rumeur (ou du cycle): ceux 
          qui voient dans la rumeur un récit similaire aux légendes 
          lui donne volontiers une personnalité cyclique, tandis que les 
          autres la classent parmi les symptômes sociaux de crise et de 
          tensions. En tout 
          état de cause, la rumeur est le lieu d'une succession de modèles 
          d'apparition dans le temps: une succession de silences et d'explosion. 
          Les poètes le chantaient déjà pour la renommée, 
          «aux pieds rapides, aux ailes promptes, monstre horrible, énorme, 
          qui a autant d'yeux perçants que de plumes, ô prodige, 
          autant de langues et de bouches sonores et d'oreilles dressées» 
          [38] ou pour la calomnie:   
          D'abord 
            un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l'orage, 
            pianissimo murmure et file, et sème en courant le trait 
            empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano, 
             vous le glisse en l'oreille adroitement. Le mal est fait; il germe, 
            il rampe, il chemine, et  rinforzando de bouche en bouche il 
            va le diable; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez 
            calomnie se dresser, siffler, s'enfler, grandir à vue d'oeil. 
            Elle s'élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, 
            arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grâce 
            au ciel, un cri général, un  crescendo public, 
            un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait? 
             [39] Le mode 
          d'apparition est l'une des caractéristiques de la rumeur la plus 
          partagée par les chercheurs en sciences sociales -- à 
          part la distinction subtilement amenée des signes externes de 
          la circulation d'une rumeur. Le problème, même s'il ne 
          pose pas réellement problème, mérite qu'on s'y 
          arrête: comment juger de la diffusion d'une rumeur. Certains proposent 
          qu'on ne retienne que  
          la 
            partie manifeste, audible, de la rumeur, celle où, parvenue 
            à mobiliser les attentions autour de ses dires, elle recentre 
            un groupe ou une communauté autour d'un nouvel objet. [40] D'autres 
          incluent dans le phénomène de rumeur des phases supputées 
          de latence, après lesquelles la rumeur "s'exprime", comme le 
          ferait un gène récessif... Morin et al.  décrivent 
          le  «cycle complet à Orléans» de la rumeur.  
          Proliférant 
            sur un germe dont on peut déterminer la double origine mythologique 
            et la même source fantasmatique, elle incube (10-20 mai), entre 
            en virulence et en extension rapide (20-27 mai), se déchaîne 
            en une prodigieuse métastase (29-31 mai), se disloque sous 
            la contre-attaque (2-10 juin), régresse dans le fantasme et 
            les mini-rumeurs, s'enfonce dans l'amnésie, laisse des résidus 
            et des germes. [41]  Cycle 
          de vie que Reumaux reprend à sa façon, en utilisant la 
          métaphore du papillon (certes plus poétique que les cancers...) 
          et en décomposant en trois  «stade socio-temporels» 
          [42]: de larve à imago, en passant par l'étape 
          de nymphe, la rumeur est prête à prendre son envol. D'autres 
          enfin distinguent plusieurs types de rumeurs en fonction précisément 
          des modes d'apparition de la rumeur: ainsi Bysov [43] 
          proposait-il de classer les rumeurs suivant leurs manifestations visibles. 
          Il distinguait trois types de rumeur, celle qui rampe (jusqu'à 
          ce que tout le monde la connaisse), celle qui fait feu de paille (et 
          qui a généralement un sujet touchant à un péril 
          immédiat), et enfin la rumeur "sous-marine" (de nature essentiellement 
          cyclique). La phase 
          de résurgence de la rumeur est naturellement la plus documentée: 
          pour des raisons matérielles (il est plus aisé de garder 
          trace de manifestations publiques, de plaintes policières, ou 
          de tracts, que de mots vites envolés, fussent-ils "à la 
          base" des premiers...) qu'émotives (la puissance des mots, la 
          folie du socius en crise, tout cela fascine... et les artistes ne sont 
          pas en reste à décrire une réalité sociale 
          qui parfois s'échappe à elle-même). On répertorie 
          donc sans problème les résurgences de la rumeur dite "d'Orléans": 
          en 1966 à Dinan, Laval, et Rouen; en 1968 au Mans; en 1969 à 
          Orléans, Poitiers, et Châtellerault; en 1970 à Amiens; 
          en 1974 à Châlon-sur-Saone; et même en 1985 à 
          Dijon et La Roche-sur-Yon [44], [45]. De la même manière, on repère 
          aisément, dans les journaux en particulier, les manifestations 
          de la rumeur dite «des auto-stoppeurs fantômes": du XVII 
           e siècle [46] jusqu'en 
          septembre 1992 (au moins) où une femme en chandail rayé 
          a défrayé la chronique des journaux de la ville québécoise 
          de Chicoutimi (photos de la rédaction à l'appui) [47], 
          de la Wallonie à l'Ohio [48]... 
          Elle surgit en tous temps, en tous lieux... sans prévenir, et 
          apparemment sans motif. On peut essayer d'établir des liens entre 
          les dates et d'en déduire des cycles, mais on se heurte toujours 
          au même problème d'appréhension du phénomène: 
          avec de tels outils, on en tirerait tout au plus le cycle des manifestations 
          de la rumeur (émeutes, publications, etc.) mais non la diffusion 
          de la rumeur elle-même. On risquerait d'être plus positiviste 
          que le Comte lui-même, et de vouloir enfermer à l'aide 
          d'une seule variable dérivée l'ensemble du phénomène. 
           Pour 
          conclure partiellement sur la discontinuité du phénomène, 
          ce caractère éphémère et récurrent 
          influence évidemment la créance des auditeurs [49], 
          mais de trois manières différentes: elle peut lui faire 
          l'effet de renforcement (je le crois car je l'ai déjà 
          entendu; je le crois car tout le monde le croit); ou au contraire un 
          effet de défiance (je le crois car je l'ai déjà 
          entendu); enfin, comme nous en ce moment, un intérêt nosologique 
          par la mise en évidence d'un thème, d'une rhétorique, 
          ou d'un mode de narration déjà rencontré dans l'un 
          de ces nombreux recueils de rumeurs ou de légendes contemporaines 
          [50]...     
          L'apparition conjoncturelle de la rumeur: le tremplin de la crise Vue 
          seulement comme un phénomène éphémère 
          et cyclique, la rumeur ne se distingue pas réellement des autres 
          phénomènes qui l'accompagnent sur la voie de l'oralité 
          et de la narration rituelle (ainsi les contes aussi sont éphémères 
          et cycliques, bien que rarement des rumeurs). Nous proposons d'invoquer 
          une hypothèse sociologique pour faire de la rumeur un fait social 
          en lui-même -- et non seulement un donné linguistique: 
          la rumeur reste latente tant que des faits sociologiques ne viennent 
          la déloger de son calme sous-jacent. Par le court exposé 
          d'une rumeur que nous avons étudié par chance [51] in situ,  nous voudrions montrer que la 
          rumeur est volontiers conjoncturelle. En avril 
          1992, une rumeur [52] secoua la capitale de la Guinée et devint 
          le centre de toutes les conversations. Son contenu était pourtant, 
          comme toujours, anecdotique -- bien qu'extrêmement impliquant 
          et "actuel": «Un ressortissant espagnol aurait livré 
          sa compagne, ou ses compagnes guinéennes, à... son chien», 
          résumait la presse indépendante [53], 
          omettant, en les sous-entendant, de nombreux détails:  «Le 
          Blanc était là, au moment de... entre la fille et le chien. 
          Et il prenait des photos» [54]; 
          «Le Blanc disposait de caméra cachée dans la chambre. 
          Il filmait la scène...». Il en organisait aussi le trafic: 
           «Il prenait des photos qu'il revendait ensuite chez eux.». 
          Le gardien du riche expatrié va raconter dans le quartier ce 
          qui se passe chez le Blanc; il va briser le secret d'alcôve: «Il 
          filmait la scène et il a été surpris par son gardien. 
          Celui-ci s'est rendu chez les vieux du quartier pour se plaindre de 
          l'attitude de la fille.»;   «C'est le gardien qui révèle 
          tout. Il est allé à la mosquée. Après la 
          prière, il s'est adressé à quelques sages, des 
          vieux, et leur a tout révélé "en tant que bon musulman": 
          un Blanc, des filles, etc.». Cette 
          rumeur aurait pu paraître anodine pour un observateur étranger 
          -- sordide, tout au plus. Pour la population de Conakry, ce fut un bouleversement. 
          On apprit bientôt que la villa du ressortissant espagnol avait 
          été rasée par une population en furie [55]; 
          des tracts pornographiques se mirent à circuler de main en main 
          [56]; des explosions émeutières 
          secouèrent la ville. Les médias d'État s'en saisirent, 
          citant noms des protagonistes et lieux, les téléscripteurs 
          de l' AFP se mirent à crépiter...  
          Des 
            Guinéens ont manifesté le 20 avril dans le quartier 
            de Madina, le plus peuplé de Conakry, brutalisant les jeunes 
            femmes portant un pantalon ou une minijupe. À l'origine de 
            ces violences, l'arrestation, la veille, d'un ressortissant espagnol 
            qui aurait tourné secrètement des films pornographiques 
            à son domicile. Les habitants du quartier ont failli le lyncher 
            et s'en sont pris ensuite aux automobilistes européens de passage 
            dans le quartier, qu'ils ont molestés. Le ministre de l'Intérieur 
            a présenté ses excuses aux Européens victimes, 
            ou menacés. L'enquête de police aurait révélé 
            que l'affaire n'était en réalité qu'une «pure 
            machination dénuée de tout fondement".  [57] Il fallut 
          que le Ministre de l'intérieur puis le Chef de l'État 
          lui-même vinssent à la télévision lancer 
          des appels au calme pour qu'enfin l'agitation cessât (on releva 
          au moins un mort [58], des dizaines 
          de blessés, et il y eut 45 arrestations [59]). Mais les langues continuèrent de fredonner 
          le refrain de la rumeur... Les 
          explications de sens commun ne se suffisent pas à elle-même. 
          Penserait-on que la bestialité soit taboue? Certes mais des légendes 
          guinéennes la mettent en scène sans causer d'autres dommages 
          qu'éclats de rire et explosion d'hilarité [60]. De plus les pratiques zoophiliques sont universelles, 
          tout autant que les interdits traditionnels et légaux qui les 
          régissent [61]. Enfin, il existe 
          une bestialité rituelle dans de nombreuses régions d'Afrique, 
          en particulier dans le Golfe de Guinée où les Ijaw du 
          Nigeria pratiquent «un coït rituel avec les antilopes et les 
          brebis, soit pour préparer le succès de la chasse, soit 
          au cours des cérémonies d'initiation des garçons" 
          [62]. L'écart 
          à la moralité est-il un fait suffisant à mobiliser 
          tous les Guinéens? Certains l'ont affirmé («Cela 
          blessait la dignité des Guinéens»,  confiait 
          un journaliste) mais une rumeur ne peut se diffuser que si elle arrive 
          à impliquer tous les auditeurs qu'elle touche; or il n'existe 
          pas d'indice pour penser, sauf peut-être dans un rêve intégriste, 
          qu'une population  entière soit mobilisée par le 
          même motif moral. Le soudain 
          embrasement de la cité [63] est d'autant moins compréhensible que la 
          rumeur avait déjà circulé, ainsi que le veut la 
          loi de récurrence que nous avons précédemment exposée, 
          quelques années auparavant, dans une région voisine de 
          la capitale. Un tiers des auditeurs interrogés l'avaient déjà 
          entendu en 1977 ou 1979 en Moyenne Guinée. Mieux que cela, un 
          haut fonctionnaire français en poste à Yaoundé 
          (Cameroun) nous a certifié qu'elle y avait eu cours en 1982 à 
          quelque 2 800 km de là! Comment se fait-il que, cette fois-ci, 
          non seulement elle ait été crue par tous, mais en plus 
          elle ait causé tant de dégâts? Nous 
          voudrions lier cette soudaine déflagration sociale avec les tensions 
          qui étaient alors présente en Guinée. Car, sans 
          toutefois proposer la vision déterministe d'une rumeur  engendrée 
          par la crise [64], nous voudrions y voir un lien de concomitance. 
          Or ce lien entre le surgissement des signes manifestes de la rumeur 
          avec la "situation de crise" avait été vu par Morin et 
          al.  à l'orée de la rumeur d'Orléans, apparue 
          en pleine campagne électorale. Ainsi rapportent-ils que l'un 
          des commerçants visés par la rumeur vint au commissariat 
          pour porter plainte et que le commissaire le conseilla en ces termes: 
          «Attendez quarante-huit heures, et après allez-y.» 
          Il s'agissait «de ne pas perturber les deux ultimes journées 
          pré-électorales." [65]  
          Ici, 
            il convient de se demander s'il y a eu quelque relation entre la rumeur 
            et la crise présidentielle de mai 1969. (...) Celle-ci a correspondu 
            à un phase d'incertitude, d'inquiétude qui, puissamment 
            refoulée hors de la conscience politique, aurait dérivé 
            vers les bas niveaux inconscients. (...) Il n'est pas exclu que ce 
            fut l'appoint décisif pour le déclenchement de la métastase. 
            [66] Dans 
          une étude similaire (une rumeur de sorcellerie au Togo), Rivière 
          [67] avait noté également la corrélation 
          entre le surgissement de la rumeur et des facteurs externes comme le 
          prix des céréales (le prix du maïs, aliment de base 
          au Togo, avait connu de grosses variations dans les mois qui avaient 
          précédé le surgissement de la rumeur).  La rumeur 
          du chien n'échappait pas à la règle: au même 
          moment où surgissait la crise rumorale, de très nombreux 
          facteurs de tension sociale étaient en place. La vie politique 
          était en effet bouillonnante. Le pays venait de se doter de lois 
          organiques [68] qui autorisaient le multipartisme (le bipartisme 
          avait été légalisé l'année précédente 
          seulement). Du coup, il ne se passait plus un mois depuis le début 
          de l'année sans que se créât un nouveau parti. Dans 
          la seule semaine du 16 mars (soit trois semaines avant le déclenchement 
          de la rumeur), ce sont 6 nouveaux partis qui ont déposé 
          leurs statuts au Ministère de l'intérieur [69]! Les réunions politiques se succédaient 
          les unes aux autres, la ville bruissait de discussions politiques et 
          de meetings. Enfin, le gouvernement avait subi un septième remaniement 
          au mois de février. Dans un pays habitué au silence des 
          milices jusqu'en 1984 (année de la mort de Sékou Touré 
          et du début de l'ouverture du pays vers l'extérieur), 
          on imagine la répercussion phénoménale de ces événements. 
          De plus, la Guinée sortait de la période du Ramadan (du 
          5 mars au 4 avril), dont le jeûne forcé durant les heures 
          du jour a de quoi exacerber les tensions les plus bénignes. Influente 
          aussi était la hausse des prix que la capitale connaît 
          quasi systématiquement à cette époque.  
          Le 
            Ramadan saint est, en Guinée, un mois où les spéculateurs 
            font la loi sur les marchés. Profitant de la forte demande 
            en produits de première nécessité, les marchands 
            multiplient les prix à qui mieux mieux. [70] Les 
          augmentations étaient substantielles [71] 
          (25% sur la plupart des produits: oignons, gombo, huile d'arachide...) 
          mais quelquefois aussi gigantesques (200% sur la salade). Le riz même, 
          aliment central de l'alimentation ouest-africaine, subit des variations 
          à la hausse (le sac de 50 kg passe facilement de 15 000 
          à 17 000 FG, soit 12%); l'augmentation semble certes minime 
          sur le plan financier mais est un véritable déclencheur 
          sur le plan symbolique. À cette période de l'année, 
          les sommes se négocient plus âprement dans les marchés, 
          le ton monte très vite, et il n'est pas rare de voir marchands 
          et clients en venir aux mains. D'ailleurs, cette année-là, 
          alors que l'on était en plein mois saint, la ville avait été 
          secouée par une histoire sordide où un chauffeur avait 
          trouvé la mort: une foule hystérique avait forcé 
          les portes de l'hôpital dans lequel elle l'avait précédemment 
          envoyé, et l'avait défenestré [72]. Enfin, les étudiants de l'Université 
          de Conakry, qui étaient en grève depuis près de 
          deux mois, participaient de cette tension collective et la fin du mois 
          de mars voyait de réels affrontements sur le campus, entre groupes 
          rivaux ou entre ces groupes et les forces armées présente 
          dans l'enceinte de l'Université. Il faut 
          se garder naturellement d'affirmer que la rumeur a  causé 
           ces troubles: du moins les a-t-elle autant anticipé et reflété 
          [73], que provoqué. La rumeur 
          est donc bien moins "hors-temps" [74] que l'on pouvait le penser. Dans les trois exemples 
          que nous venons de citer (au moins), la temporalité du surgissement 
          est très nette: la rumeur se sert des tensions sociales comme 
          d'un tremplin pour imposer elle-même son trouble. Si cette hypothèse 
          était déjà admise dans le sens inverse (les situations 
          de crise créent des rumeurs -- Le Bon déjà en parlait! 
          [75]), elle est plus difficile à 
          imposer dans une acception non causale et non déterministe... 
          La rumeur -- ou plutôt son surgissement -- semble donc enfin temporelle 
          [76].     L'étude 
          de la temporalité de la rumeur comme outil pour créer 
          du sens?  Après 
          avoir illustré la difficulté du concept de rumeur à 
          se figer dans le temps -- et donc notre propre embarras à la 
          définir explicitement --, nous nous sommes attachés à 
          montrer le lien complexe qui liait rumeur et temps. Toute rumeur en 
          effet peut être décomposée de triple façon: 
          une thématique "hors du temps" car constamment actualisée 
          -- atemporelle (calquée sur le modèle de l'information 
          journalistique, dont l'une des caractéristiques est justement 
          d'être a-contextuelle); un développement défiant 
          le temps, éphémère et cyclique à la fois 
          -- bref, intemporel; et un surgissement dans le temps lié à 
          des conditions sociales d'émergence -- temporel. Reconstruire 
          cette mosaïque de la temporalité (atemporalité, intemporalité 
          et temporalité du phénomène) nous amène 
          malgré nous à définir la rumeur, plus que nous 
          l'avions espéré. La notion de temps nous permettrait-elle 
          d'énoncer une définition, où la rumeur est un 
          phénomène éphémère, cyclique et conjoncturel 
          de diffusion dans le socius d'un message à prétention 
          d'actualité?  Cela ferait de la rumeur non plus seulement 
          un phénomène linguistique, mais un phénomène 
          social dans lequel seraient mêlés à même degré 
          d'importance le message oral et les signes sociaux manifestes. Cette 
          vision du phénomène permettrait d'aller plus loin encore 
          dans l'étude de la temporalité du phénomène. 
          La rumeur apparaît, on l'a vu, à l'occasion de tensions 
          qui ne l'ont pas forcément engendrées. Mais pourrait-on 
          lier alors la thématique aux conditions d'émergence à 
          long terme? Une rumeur en effet ne peut toucher une population entière 
          que parce qu'elle traite d'un problème commun à tous. 
          L'étude de ce "problème commun" est facilitée par 
          la conception d'une rumeur en tant que fait social: à condition 
          d'abandonner temporairement la dichotomie discursif / extra-discursif, 
          on peut utiliser l'étude de la réaction populaire, c'est-à-dire 
          des signes manifestes de la rumeur pour utiliser des termes bysoviens, 
          pour comprendre la thématique. Dans 
          le cas de la rumeur de Guinée, des faits troublants sur le surgissement 
          de la crise peuvent nous guider. Si tous les auditeurs s'accordaient 
          sur son côté vraisemblable (un guide touristique très 
          populaire [77] a même pour habitude 
          de prévenir ses lecteurs-"baroudeurs" en des termes crus tels 
          que:  «Souvent la femme africaine "boutique son cul"» ou 
          «la jeune fille (...), après la nuit, attendra un "petit 
          cadeau"»; cela reflète assez bien les relations entre 
          les deux communautés, basées sur un déséquilibre 
          économique qui perturbe le reste...), personne ne justifiait 
          pour autant les actes des "voyous" dans la ville, les exactions "des 
          bandes de casseurs". Et, fait étrange pour le sociologue, la 
          populace ne s'en prenait qu'aux jeunes femmes habillées de manière 
          non traditionnelle, et aux couples métissés: on assista 
          à des déchaînements de violence contre ces deux 
          groupes de victimes, les unes mises à nu, voire violées; 
          les autres pourchassés et leurs grosses voitures 4 x 4 
          bombardées de pierre. On pourrait 
          poser l'hypothèse, en remarquant que la cible des émeutes 
          étaient des éléments de la société 
          dont la seule différence était le comportement vis-à-vis 
          des coutumes et des traditions, que c'était également 
          cela que la rumeur visait sans le dire. C'est en effet ce que l'on trouve 
          dans la rumeur: un gardien surprend des conduites déviantes; 
          il en saisit les autorités traditionnelles; le problème 
          est résolu. La dialectique de l'ordre et du désordre, 
          résumée en une histoire perverse... et voilà une 
          capitale africaine en émoi, qu'est-ce à dire? Anodine 
          en apparence, elle posait néanmoins sans vergogne les problèmes 
          cruciaux avec lesquels le corps social se débattait: émancipation 
          de la jeunesse, place des femmes dans la société, patriarcat, 
          matérialisme... tout en utilisant des images dignes de celles 
          d'Épinal. De là à lier la thématique de 
          la rumeur avec la vie du corps social, il n'y a qu'un pas: le pays a 
          connu en 1984 un revirement politique complet, passant de l'autarcie 
          socialiste à un libéralisme quasi anarchique. De là 
          naissent les soupirs nostalgiques de l'ordre ancien:  «Dans 
          l'Ancien régime, tu tenais ta langue et tu soignais ton comportement, 
          sinon c'est le camp Alpha Yaya [camp militaire de sinistre mémoire]. 
          Là, au moins, il n'y avait ni crime, ni vol, ni viol.»; 
          «Vous verrez la suite. Tout est permis maintenant. L'ouverture 
          démocratique... oui, vers la débauche et le laisser-aller». 
          La rumeur, dans son message et non plus seulement dans son surgissement, 
          se donnerait-elle à interpréter? Dans ce cas, quelle méthodologie 
          utiliser: Morin  et al.  avaient tenté une sorte de socio-psychanalyse 
          -- mais quelle base de référence utiliser en d'autres 
          lieux, d'autres temps?      
         
 Notes[1] L'auteur est candidat au Doctorat conjoint en communication 
          (UQàM, Université de Montréal & Concordia University) 
          et rédige une thèse sur la notion de rumeur en tant que 
          "genre". Il revient d'un séjour de 16 mois en Guinée où 
          il a pu réaliser la collecte des données pour cet article. 
          Publié dans Recherches en communication (Université 
          catholique de Louvain), 1995[2] GRYSPEERDT, Alex (s.dir.), 1995. La galaxie des 
          rumeurs. Bruxelles: éditions de la vie ouvrière, coll. 
          « Communication », 176 pages, p. 74
 [3] Ibid., p. 79
 [4] Ibid., p. 46-47. Soixante-quinze articles 
          "rumorants" ÷ 3 012 articles du corpus = 2,5 %
 [5] Ferdinand Toennies, cité par ATTALLAH, Paul, 
          1989. Théories de la communication -- Histoire, contexte, 
          pouvoir,  Québec, Presses de l'Université du Québec, 
          pages 8 à 17.
 [6] SFEZ, Lucien, 1990. Critique de la communication, 
           Paris, Seuil, p. 101.
 [7] SHEATSLEY, Paul B. & Jacob J. FELDMAN, 1964. « The 
          Assassination of President Kennedy: A Preleminary Report on Public Reactions 
          and Behavior », Public Opinion Quarterly,  vol. 28, 
          nº 2 (été), pages 189 à 215 (page 193).
 [8] "Mais avec l'éruption de la Seconde guerre 
          mondiale, l'attention [des chercheurs en sciences sociales] fut irrésistiblement 
          attirée par ce sujet; il apparut bientôt évident 
          qu'en temps de guerre, les rumeurs influençaient non seulement 
          le moral des populations et sa confiance, mais qu'elles étaient 
          en maints endroits des armes offensives de la propagande ennemie." KNAPP, 
          Robert H., 1944. « A Psychology of Rumor », Public 
          Opinion Quarterly,  nº 8, pages 22 à 37.
 [9] Jung assimilait alors la rumeur à un «rêve» 
          collectif (p. 43 & 52). Cf. JUNG, Carl Gustav, (1910) 
          1935. « Contribution à la psychologie de la "rumeur 
          publique" », pages 43-58, in Conflits de l'âme enfantine 
          -- La rumeur -- L'influence du père,  Paris, Aubier, 77 pages.
 [10] KNAPP, Robert H., 1944. « A Psychology 
          of Rumor », Public Opinion Quarterly,  nº8, pages 
          22 à 37.-- ALLPORT, Gordon Willard & Leo Joseph Postman, 
          (1947) 1965. The Psychology of Rumor,  New York, Russel & 
          Russel, 247 pages.
 [11] Malgré certaines prédictions affirmant 
          que « (...) les études relatives aux rumeurs soient 
          progressivement moins nombreuses. » MARC, Pierre, 1987. De 
          la bouche... à l'oreille -- Psychologie sociale de la rumeur, 
           Cousset (CH), Delval, page 239.
 [12] Les médias électroniques ne sont pas 
          en reste: à preuve, le nombre d'émissions spéciales 
          qui lui sont consacrées, dans la francophonie seulement (M6 [France], 
          9/1/94; SRC [Canada], 2/2/93; RSR1 [Suisse], 30/12/92; TF1 [France], 
          2/7/92, 16/7/92, 13/8/92; TSR [Suisse], 1988... pour les plus récentes).
 [13] Les données étymologiques proviennent 
          de REUMAUX, Françoise, 1989. «Rumor et opinio», Cahiers 
          internationaux de sociologie,  vol.36, nº86 (janvier-juin), 
          pages 129 à 132 et de PAILLARD, Bernard, 1990. « L'écho 
          de la rumeur », Communications, nº 52, page 125.
 [14] ALLPORT, Gordon Willard & Leo Joseph Postman, 
          (1947) 1965. The Psychology of Rumor,  New York, Russel & 
          Russel, pages 65 à 74.
 [15] BARTLETT, Frederic C., 1932. Remembering, Cambridge, 
          Cambridge University Press.
 [16] MRS pour Méthode de répétition 
          répétée, cf. KLINEBERG, Otto, 1967. «La 
          mémoire», pages 246-256, in Psychologie sociale,  
          Paris, Presses universitaires de France, 659 pages.
 [17] KAPFERER, Jean-Noël, 1992. «Du LSD dans 
          les décalcomanies Mickey?», Actuel, nº15, pages 
          36 à 38. Une rumeur serait « l'état provisoire, 
          non vérifié, de l'information ». (p.36)
 [18] MORIN, Edgar & B. Paillard, É. Burguière, 
          C. Capulier, C. Fischler, S. de Lusignan, J. Vérone, 1969. La 
          rumeur d'Orléans,  Paris, Seuil, coll. « L'histoire 
          immédiate », 255 pages.
 [19] ROBERGE, Martine, 1989. La rumeur,  Québec, 
          Université Laval & Célat, 76 pages.
 [20] BACHELARD, Gaston, 1970. La formation de l'esprit 
          scientifique,  Paris, Presses universitaires de France.
 [21] KANT, Emmanuel, [1781] 1980. Critique de la raison 
          pure,  Paris, Gallimard, coll. « Pléiade », 
          page 1406 (1e édition).
 [22] Ibid.
 [23] MORGAN, Hal & Kerry Tucker & Marc Voline, 
          1988. Vraies ou fausses? Les rumeurs,  Paris, First, page 72.
 [24] REUMAUX, Françoise, 1991. «L'actualité 
          de la rumeur», Société, nº31, pages 15 
          à 20.
 [25] FINE, Gary Alan, 1979. «Cokelore and Coke Law: 
          Urban Belief Tales and the Problem of Multiple Origins», Journal 
          of American Folklore,  vol.92, nº366 (octobre-décembre), 
          pages 477 à 482.
 [26] L'acronyme ADUA désigne en français 
          l' ami d'un ami,  sur le mode de constitution du terme anglais 
          FOAF, pour friend of a friend. Dans les deux cas, il s'agit de 
          celui à qui est supposément arrivée l'aventure. 
          Acronyme inventé et popularisé par RODNEY DALE, The 
          Tumour in the Whale. A Collection of Modern Myths,  London, Duckworth, 
          1978, 169 pages. Il donne lieu même à la publication d'un 
          périodique, FOAFtale News...  (Brodu propose aussi le 
          terme de « toto », pour « tovaritch 
          d'un tovaritch ». BRODU, Jean-Louis, 1992 : 13. 
          Certifié légendaire. Paris, Jean-Louis Brodu, 44 
          pages.)
 [27] Van Gennep énonce pour cela une loi «de 
          la temporation et de la détemporation» pour expliquer la 
          mise hors du temps des légendes. VAN GENNEP, Arnold, (1910) 1929. 
          La formation des légendes,  Paris, Flammarion, page 280.
 [28] REUMAUX, Françoise, 1991. Op. cit.,  
          pages 19 à 20.
 [29] GRYSPEERDT, Alex (s.dir.), 1995. Op. cit., 
          p. 16.
 [30] REUMAUX, Françoise, 1988. «Un rite oral 
          urbain: la rumeur», Cahiers de littérature orale,  
          nº24, pages 62 à 63.
 [31] ROUQUETTE, Michel-Louis, 1975. Les rumeurs,  
          Paris, Presses universitaires de France, coll. «Sup», page 
          19.
 [32] BONAPARTE, Marie, (1946) 1950. Mythes de guerre, 
           (Londres) Paris, (Imago) Presses universitaires de France, page 
          51
 [33] TODD, Jack, 10 février 1992. «He was 
          had», The Gazette,  page A3.
 [34] L'homme se met à rire à gorge déployée; 
          plus tard, les jeunes femmes trouveront un mot de cette personne, signé 
          d'un nom célèbre. BRUNVAND, Jan Harold, 1986. The Mexican 
          Pet -- More "New" Urban Legends and Some Old Favorites,  W.-W. Norton 
          & C°, New York & Londres, page 45.
 [35] LUMLEY, 1925, cité par ROSNOW, Ralph L. & 
          Gary Alan Fine, 1976, page 84. Rumor and Gossip -- The Social Psychology 
          of Hearsay,  New York, Elsevier, 157 pages.
 [36] REUMAUX, Françoise, 1991. Op. cit.,  
          page 15.
 [37] Le concept d'origine anglo-saxonne de «légende 
          contemporaine» vient parfois se substituer à cet endroit 
          de la caractérisation de la rumeur: comme elle, ce sont des récits 
          à prétention d'actualité, mais dont le mode d'apparition 
          n'est pas explicité.
 [38] VIRGILE, L'Énéïde, IV, 
          v. 173-188, coll. «Les belles lettres», 1970, page 123.
 [39] BEAUMARCHAIS, Le barbier de Séville,  
          acte II, scène VII.
 [40] Bysow cité par REUMAUX, Françoise, 
          1990. «Traits invariants de la rumeur», Communications, 
          nº 52, page 142
 [41] MORIN, Edgar & al.,  1969. Op. cit., 
           pages 36 à 37.
 [42] REUMAUX, Françoise, 1994. Toute la ville 
          en parle -- Esquisse d'une théorie des rumeurs,  Paris, L'harmattan, 
          pages 8 à 9.
 [43] BYSOW, L.A. (trad.: N. von WIESE), 1928. « Gerüchte », 
          Kölner Vierteljahrschefte für Soziologie,  1928, nº 7, 
          page 421.
 [44] KAPFERER, Jean-Noël, 1987. Rumeurs -- Le 
          plus vieux média du monde,  Paris, Seuil, page 143
 [45] Pour rester sur le seul territoire français. 
          Car on la repère à Montréal en 1992... et en Corée 
          en 1987. Cf. FROISSART, Pascal, novembre 1992. Quelques concepts 
          qui servent de base à l'étude de la rumeur -- Réponse 
          à la première question de l'examen de synthèse, 
           Université du Québec à Montréal, 26 
          pages.
 [46] DUMERCHAT, Frédéric, 1990. «Les 
          auto-stoppeurs fantômes», Communications, Paris, Seuil, 
          nº52, pages 249 à 282.
 [47] THÉRIAULT, Paul-Émile & Normand 
          Boivin, 6 septembre 1992: A8. « Fantôme du parc des 
          Laurentides -- La réalité dépasse parfois la fiction », 
          Le Progrès-Dimanche,  page A8.
 [48] BRUNVAND, Jan Harold, 1981. The Vanishing Hitchhiker 
          -- American Urban Legends and Their Meaning,  New York & Londres, 
          W.-W. Norton & C°, 208 pages.
 [49] On désignera par le terme d'"auditeurs" les 
          personnes qui ont été interrogées, bien que, en 
          plus d'être auditeurs, les personnes qui écoutent une rumeur 
          deviennent acteurs quand il la diffusent.
 [50] Par exemple, MORGAN, Hal & al.,  1988. 
          Op. cit.; CAMPION-VINCENT, Véronique & Jean-Bruno 
          Renard, 1992. Légendes urbaines -- Rumeurs d'aujourd'hui, 
           Paris, Payot, 349 pages; ou BRUNVAND, Jan Harold, 1986. Op. 
          cit.; cf.  également la grosse base de données sur 
          Internet, stockée au MIT (alt.folklore.urban) sous la direction 
          de Brunvand lui-même.
 [51] J'assurais pour le compte du Ministère français 
          de la coopération un enseignement en journalisme en Guinée-Conakry.
 [52] Cf. pour plus de détails «La 
          rumeur du chien», in FROISSART, Pascal, 1995 (en cours). La 
          rumeur, un genre communicationnel à définir (titre 
          provisoire), thèse de doctorat en communications, Université 
          du Québec à Montréal.
 [53] DIOMANDé, Alhassane, 20 avril 1992. « Violence 
          à Ratoma », Lynx, nº9, page 4.
 [54] Les citations en italique et entre guillemets sont 
          issues d'une enquête ethno-sociologique, auprès d'un échantillon 
          aléatoire de 80 résidents de Conakry, effectuée 
          dans les langues nationales (soussou, mandingue, pular ou langues forestières) 
          ou en français par des enquêteurs guinéens sous 
          notre direction.
 [55] Conduit par l'un de nos enquêteurs, nous avons 
          pu en voir les restes: le toit était effondré, il ne restait 
          plus que les murs -- sur l'un desquels nous pûmes apercevoir le 
          dessin enfantin d'un énorme chien.
 [56] À prix d'or, indice s'il en faut de la très 
          forte implication des Conakrykas. Vendues de main en main le long des 
          trottoirs, le prix de ces photocopies de photocopies variaient entre 
          500 et 2 000 FG (à titre de comparaison, un repas normal 
          pris dans un "maquis", restaurant populaire, vaut 300 FG).
 [57] Dépêche reprise dans Marchés 
          tropicaux et méditerranéens,  24 avril 1992, p. 1 047
 [58] SOW, Ibrahima, 15-17 avril 1992. « Une 
          journée chaude: un mort, une blessée grave et des dégâts 
          matériels », Horoya, vol.31, nº 3646, 
          page 3.
 [59] KOULIBALY, Mohamed, 15-17 avril 1992. « Pour 
          le retour de la quiétude », Horoya, vol. 31, 
          nº 3646, page 5.
 [60] Un conte populaire peulh, par exemple, met en scène 
          les organes génitaux d'un âne et passe allègrement 
          sur les tabous de la bestialité, du fétichisme, du voyeurisme 
          et même de la sodomie (ÉQUILBECQ, Victor François, 
          1972 [rééd.]. Contes populaires d'Afrique occidentale, 
           Paris, A. Maisonneuve, pages 326 à 327).
 [61] VILLENEUVE, Roland, 1973. Le musée de 
          la bestialité,  Paris, Veyrier, pages 9 à 13.
 [62] RACHEWILTZ (de), Boris, (1965) 1993. Éros 
          noir -- Moeurs sexuelles de l'Afrique de la préhistoire à 
          nos jours,  Paris, (La Jeune Parque) Le terrain vague, pages 283.
 [63] Conakry compte 1,5 millions d'habitants, soit à 
          peu près autant que Bruxelles, Montréal ou Bordeaux...
 [64] Pour la notion de crise dans laquelle s'insère 
          la rumeur, cf. ROUQUETTE, Michel, 1980. La pensée sociale 
          et les phénomènes de rumeur,  Université d'Aix-Marseille 
          I, thèse de doctorat d'État s.dir. Claude Flament, pages 
          162 à 166.
 [65] MORIN, Edgar & al.,  1969. Op. cit., 
           page 95.
 [66] Ibid., pages 29 et 30.
 [67] RIVIÈRE, Claude, 1973. «Rumeur de métamorphose», 
          Ethnopsychologie, vol. 33, nº 1 (janvier-mars), 
          page 64.
 [68] DRAMOU, Jérôme, 1er janvier 
          1992. « Éphémérides -- Les temps forts 
          de 1991 », Horoya, vol.30, nº 3 625, 
          page 8.
 [69] --, 19-21 mars 1992. « De nouveaux partis 
          politiques », Horoya, vol.31, nº 3 641, 
          page 3.
 [70] --, 16-19 mars 1992. « Ramadan et flambée 
          des prix »,  Horoya, vol.31, nº 3 640, 
          page 8.
 [71] Les chiffres sont calculés à partir 
          de l'article sus-mentionné.
 [72] --, 3 avril 1992. « Déclaration 
          du Ministre de l'intérieur : "Nul ne doit se faire justice" », 
          Horoya, vol.31, nº3644, page 12.
 [73] Nous plaidons pour une vision dynamique du social, 
          dans laquelle la rumeur est à la fois précurseur et symptôme 
          d'une réalité discrète.
 [74] GRYSPEERDT, Alex (s.dir.), 1995. Op. cit., p. 16
 [75] Gare à la confusion, car elle est fréquente: 
          depuis Knapp jusqu'à Kapferer...
 [76] Il faut peut-être limiter la porter de la 
          généralisation à ces rumeurs qui, dans le modèle 
          reumaldien, sont celles bâties sur le modèle hystérique 
          (sous cette bannière, nous rencontrons la rumeur d'Orléans 
          bien sûr, mais aussi celle de l'anesthésiste-fantôme 
          de Mattoon, l'épidémie des pare-brise de Seattle, les 
          tracts anti-colorants de l'Hôpital de Villejuif, les tracts anti-décalcomanies 
          au LSD, la maladie et la mort d'Isabelle Adjani): la contagion est "particulièrement 
          rapide", «le stade nymphal, où a couvé la rumeur, 
          est occulté par le stade d'éclosion». Cf. 
          REUMAUX, Françoise, 1994. Op. cit.,  pages 27 et 134.
 [77] CLOAGUEN, Pierre et al.,  1990. Le Guide 
          du routard -- Afrique noire,  Paris, Hachette, pages 45 à 
          46.
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