Pascal Froissart
La résistible ascension de la rumeur mondialisée
Source: Froissart, Pascal, 2004 : 589-599.
Questionner l'internationalisation. Cultures, acteurs, organisations, machines.
Paris : SFSIC, 734 pages.
La rumeur semble se prêter dévidence au thème de la mondialisation, dans un sens géographique tout du moins : grâce aux réseaux électroniques qui strient la planète, on imagine volontiers une « rumeur mondialisée », sans substrat culturel, ni stratification sociale, ni enjeu. Mieux, le concept de "rumeur", appuyé sur celui de "masse", semble donner corps à lambiguïté dune idéologie mondialiste qui fait des citoyens de tout pays une nouvelle masse indifférenciée (plus de libre arbitre chez les consommateurs, chez les acteurs politiques, chez les créateurs ! semble chanter le chur). De nombreux exemples issus du monde des "rumorologues" donnent raison à cette thèse : les chaînes de lettre franchissent les frontières et les langues ; le marquage linguistique des pages Internet paraît évoluer de conserve, quelles que soient les langues, comme sil existait une « actualité mondiale » ; une sorte de socle commun peut même être distingué à certaines rumeurs, anciennes ou nouvelles. En contrepoint néanmoins, que ce soit pour laffaire des « rétrécisseurs de sexe » ou du « monstre mi-singe mi-homme », les exemples de rumeurs confinées à des aires culturelles malgré leur immense médiatisation viennent rappeler quil ne suffit pas de connaître une histoire pour la faire circuler, ni pour a fortiori y croire. |
Il nest pas rare quon prétende que les rumeurs sont vouées à être globales, à circuler tout autour du globe sans connaître dobstacles ni de ré-interprétations. De nombreux indices vont dans ce sens : les rumeurs sur Internet sont naturellement de ceux-là. Quoi de plus fascinant de découvrir que la « rumeur des seringues au cinéma » a longuement circulé au Québec avant dinonder la France (cf. Tableau 1), où on la croit indiciblement attachée à la ville dIssy-les-Moulineaux (lieu doù est parti lun des démentis) ? Tableau 1. La rumeur des seringues au cinéma, au Québec et en France
La « rumeur des seringues au cinéma » a circulé allègrement par courrier électronique, tantôt du côté canadien, tantôt du côté français en changeant seulement quelques lieux et quelques références : Paris remplace Montréal, les québécismes disparaissent (« liqueurs douces »), quelques fautes dorthographe sont ôtées ou ajoutées Dans tous les cas, il sagit indubitablement de la même histoire, qui nest de plus quune variante dautres récits dhorreur qui circulent depuis les années 1980, marquées du sceau de la révélation a posteriori : ici, une note manuscrite porte linscription « Vous venez dêtre infecté par le Vih » ; là, une jeune femme énigmatique se laisse séduire par un inconnu de passage et laisse à laube, au rouge à lèvres sur un miroir, linscription « Welcome to the world of Aids » 1).
Actualisation géographique de la rumeurOn a là la preuve quon aurait tort de parler de croire en une « rumeur dIssy-les-Moulineaux » qui a sauté allègrement par-dessus frontières et cultures. Mais la tentation est grande. Dautant plus grande que les antécédents sont nombreux. Parmi eux, il y a naturellement la « rumeur dOrléans », nommée ainsi parce quun compte-rendu denquête a été publié dans une grande maison dédition parisienne 2. Pourtant, là encore, lattribution géographique est usurpée. De lavis même des chercheurs qui étudièrent la rumeur à Orléans, le phénomène dépassait largement la seule préfecture du Loiret : dix ans avant la cristallisation (ou peut-être simplement la crispation) dans la ville dOrléans, elle était déjà attestée à Paris, Toulouse, Tours, Limoges, Douai, Rouen, Le Mans, Lille, Valenciennes, Poitiers, Châtellerault 3 Au total, la « rumeur dOrléans » aura connu une diffusion quasi générale dans les pays occidentaux, de 1924 à aujourdhui, en France comme au Québec, en Italie, ou en Corée 4. À chaque fois, seuls quelques détails changent : le nom dune rue, le type de commerce, ou la nationalité des ravisseurs supposés. Mais lhistoire elle-même ne change guère : méfiez-vous des cabines dessayage, on sy fait enlever, on y disparaît corps et biens La rumeur est donc prise en étau entre une réalité visiblement peu soucieuse des effets de frontière et de géographie, et une conceptualisation encore trop métaphorique, liée à un univers militaire (la « prise dOrléans » comme la « guerre de Troie ») ou religieux (la « pucelle dOrléans » comme « loracle de Delphes »). Cest comme si lon essayait de faire entrer à tout prix un phénomène de communication difficile à caractériser dans un concept construit sur de mauvaises bases : prétendre comme dans les métaphores à lunité de lobjet est faire déjà une dangereuse hypothèse sur la circulation des rumeurs. Lethnologue Van Gennep se moquait déjà en 1910 de ceux qui faisait de la métonymie une manière de vivre : « on ne peut, en voyant une machine à imprimer moderne reconnaître lauteur de chacun des perfectionnements de détail par laccumulation desquels elle est arrivée à sa constitution actuelle. Même avec lécriture, les archives, les journaux, les revues, nous narriverions pas non plus à nommer les inventeurs réels de la bicyclette, de lautomobile, de la locomotive. En désespoir de cause, on choisit lun des noms qui se présentent et on crée ainsi un inventeur unique révéré des enfants et des foules, par un procédé de simplification inexact qui est celui-là même qui a présidé autrefois à la création des héros civilisateurs légendaires. » (p. 28) Ainsi est-ce également quen désespoir de cause, on nomme les rumeurs par lendroit où elles surgissent ! Même la langue ne semble pas un obstacle à la rumeur. Le cas des « décalcomanies au Lsd » en est la démonstration frappante, ainsi que lillustre lenquête de Jean-Bruno Renard 5 : parti dun tract « original » écrit en anglais en en 1980 (aux États-unis) 6, le texte a été traduit au Québec (de nombreux détails locaux en font foi), puis sest diffusé en France par lintermédiaire dun voyageur de bonne volonté. « Dans ce communiqué, il est question de tatouages piqués de drogue (lsd) appelés blue star qui seraient vendus ou donnés aux enfants dans les écoles. Ces petits tatouages seraient munis détoiles bleues ou de personnages de bandes dessinées et le tout, enveloppés dans du papier daluminium. » 7 Comme le support écrit conserve fidèlement les annotations et surcharges, cela permet de suivre sans trop de problème le cheminement du message : « Information transmise par M. le Professeur J*** de la Faculté de Chirurgie Dentaire de Nice (Département de Pédodontie) » 8, par exemple ; ou « En provenance de lHôpital Sainte-Justine. Information. Signé : Sylvio L***. Prévenir Service de garde » 9. Reprenant la phraséologie de Van Gennep, Jean-Bruno Renard commente linfidélité des récits en matière dattribution géographique : « La localisation / délocalisation sobserve dès les premières variantes du tract : la présence des tatouages est signalée en Nouvelle-Angleterre, puis à Windsor et Fort Huron, puis au Canada ; ensuite les petites étoiles bleues sont arrivées en France et enfin les premières ont été découvertes à Paris. On voit alors que la phrase Elles peuvent arriver ici plus vite quon ne le pense permet de donner au mot ici un sens chaque fois nouveau : cest le Québec par rapport aux Usa, la France par rapport au Canada, etc. » (p. 35) Les rumeurs suivent là un phénomène extrêmement courant dactualisation géographique. Or le phénomène de « relocalisation » est connu de longtemps pour les contes et les légendes. Dès le début, le débat est vif, car le débat porte aussi sur un possible évolutionnisme : la sphère dinfluence des légendes est-elle liée à lhistoire collective, un lieu, un peuple ? Van Gennep prend position, et use des termes de province et daire thématique pour éviter de tomber dans le biais nationaliste ou ethnocentrique : « Il existe des provinces ou des aires thématiques qui ne répondent ni aux provinces linguistiques, ni aux provinces ethniques, ni aux provinces culturelles. Autrement dit : la production thématique populaire ne dépend ni de la langue, ni de la race, ni de la civilisation » (p. 44).
Traces de la rumeur sur InternetIndice supplémentaire à une rumeur « mondialisée », le fait que lon puisse faire un relevé métalinguistique (au sens où on ne repérerait que loccurrence du mot « rumeur » et non le sens attribué par chaque rédacteur) de la rumeur sur Internet. Un relevé régulier (mensuel) du nombre de pages indexées dans Google, lun des moteurs de recherche les plus puissants disponibles sur Internet, indique en effet une remarquable similitude dans lutilisation du terme dans le monde occidental (cf. Figure 1). Figure 1. Occurrences du mot rumeur sur Internet Le mot "rumeur" sur Internet est le signe, non de la circulation de la rumeur sur le réseau, mais du repérage par les rédacteurs successifs de récits qualifiés de rumeur. Au début de lannée 2004, environ 1,7 million de pages utilisent le mot "rumor" (échelle de gauche) ; 180 000 le mot "rumeur" et 130 000 le mot "Gerücht" (échelle de droite) les trois mots étant synonymes en langues anglaise, française et allemande. On remarque dune part laugmentation régulière de lemploi du terme sur Internet (mais cela mérite une analyse plus poussée, infra), dautre part des "poussées de fièvre" régulières qui sont dûes sans aucun doute aux moments de crise que les pays occidentaux ont vécu ces trois dernières années :
Lindicateur « occurrences du mot "rumeur" » sanalyse dans labsolu : en particulier, il est vain de sétonner de la constante progression depuis 2001 ; dans la même période en effet, le nombre de pages disponibles sur Internet a augmenté fortement. On peut contrôler ce biais en rapportant le nombre de pages citant le terme "rumeur" au nombre de pages total, indiqué par Google sur sa page daccueil (cf. Figure 2). Figure 2. Fréquence du mot "rumeur" sur Internet En observant les fréquences et non plus les occurrences des
termes rumor, rumeur et Gerücht
sur Internet, on constate que la progression nest donc pas corrélée
au nombre de pages disponibles dans la base de données de Google 12 :
à part des variations conjoncturelles, il ne semble pas quentre
2001 et 2004 il ne se dégage une tendance. Au contraire, on peut
être surpris par la remarquable stabilité du terme (il
faudrait avoir des données de contrôle, qui manquent ici).
En revanche, la soudaine flambée du terme rumeur
entre lautomne 2001 et le printemps 2002 semble se confirmer
encore que la chute brutale de la fréquence dapparition
soit extrêmement étrange et rende lhypothèse
« Meyssan » un peu hasardeuse. Lanalyse
des fréquences paraît finalement peu fiable. Il nen reste pas moins un enseignement assez remarquable : quelle que soit la langue employée, la variation du nombre de pages est corrélée. En utilisant le coefficient de Pearson pour comparer les effectifs entre mars 2001 et février 2004, on saperçoit que la corrélation est forte : 81 % entre langues anglaise et française (96 % sur la période comprise entre mai 2002 et février 2004) ; 73 % entre langues française et allemande (90 % sur la période comprise entre mai 2002 et février 2004) ; 84 % entre langues anglaise et allemande (90 % sur la période comprise entre mai 2002 et février 2004). Le terme de "rumeur" sert à commenter lactualité internationale, et les trois zones linguistiques sont étroitement reliées par une économie et souvent une politique commune : on saperçoit néanmoins quil existe un usage commun quelle que soit la langue utilisée, en tout cas du terme.
Sphères culturelles communesEnfin, une série dindices laisse penser que la rumeur ne peut être que globale. Dabord, le rôle des agences de presse, qui ne sont pas à labri dune diffusion accidentelle dinformation requalifiée en rumeur après coup. Ensuite, le fait que certaines « rumeurs » sont largement inspirées dun folklore commun à tous les peuples occidentaux : lexemple le plus frappant est le récit biblique de la prédiction de lapôtre Philippe (« Sur la route de Jérusalem à Gaza, déserte et à midi, lapôtre Philippe arrête le char dun eunuque, haut fonctionnaire de la reine dÉthiopie, et monte à ses côtés. Après lui avoir annoncé la Bonne Nouvelle de Jésus et lavoir baptisé, Philippe disparaît, enlevé par lEsprit saint. » 13) qui ressemble de manière frappante à toutes les rumeurs de prédiction / disparition modernes, telles celles de « Lauto-stoppeur fantôme ». Dans sa version québécoise par exemple, relevée à lautomne 1992 dans la région du Saguenay, un homme fait monter une « belle jeune fille faisant du pouce sur une route secondaire ». Lorsquelle a disparu, « intrigué, le routier se rend à ladresse [quelle lui avait indiqué ] et là, il rencontre un couple qui linforme que leur fille sest tuée dans le parc [des Laurentides] il y a trois ans » 14 « mais quaujourdhui cest son anniversaire » 15. Cette rumeur est contée tant en France quau Québec ou aux États-unis, et la meilleure explication à sa présence sur tous les continents et toutes les langues réside dans le fait que la trame narrative est issue dune culture religieuse largement partagée par les Occidentaux. Laccumulation des preuves fait de la rumeur un phénomène inéluctablement mondial. À observer la diffusion des courriers électroniques appelés rumeur par les observateurs, qui sont tantôt adaptés tantôt traduits, et qui circulent dans tous les pays, on pouvait croire à une "rumeur globale" ; à observer lusage du terme "rumeur" au gré du nombre de pages qui larborent, on pouvait trouver une confirmation à la globalisation des rumeurs. Il y a pourtant des indices qui laissent penser que cest aller trop vite en affaire.
La rumeur diverge néanmoinsCertains phénomènes étranges peuvent montrer néanmoins
un enracinement local à la rumeur. Commençons par le plus
paradoxal : le repérage de la rumeur est indubitablement
lié à la culture dorigine. Si lon se fie aux
sites qui lui sont consacrés, sites de référence
et les sites de collectionneurs éclairés 16,
on observe un biais culturel évident (Tableau 2). Tableau 2. Les sites de références sur la rumeur, selon les pays
Il va de soi que la langue dominante sur le Réseau implique que les pages les plus visibles sont anglophones, mais il est tout de même remarquable de voir la proportion de sites consacrés à la rumeur aux États-Unis. Sur 24 sites répertoriés dans un corpus constitué à partir de leur popularité (lun des indicateurs retenus est la présence dans les annuaires de sites, de type Yahoo! ou Google), seuls 7 sont étrangers aux Usa. On pourrait conclure à une américanité du concept de rumeur, en ce sens que les sites américains sont légion, et sans doute également les plus consultés. Bien quon ne puisse vraiment nier ce fait, cest aller trop vite car les biais sont nombreux : dabord le fait linguistique (fin 2003, 36 % des internautes sont anglophones 18 ; de plus, ma propre compétence linguistique mempêche dobserver ce qui se passe dans la sphère asiatique, par exemple, malgré limmense nombre dinternautes 19) ; ensuite, le fait technique (les foyers américains sont plus équipés que la plupart des foyers des autres pays ; les logiciels sont américains dans 98 % des cas 20) ; enfin, cest faire fi dune culture nord-américaine de lanecdotique, qui légitime volontiers le détail et lexotique, et dont fait preuve lextrême vigueur des mouvements universitaires attachés aux Cultural Studies. Enfin, dernière série darguments qui tend à montrer que la diffusion des rumeurs est largement liée au contexte démergence, de nombreuses rumeurs, fort bien documentées par ailleurs, restent cloisonnées dans des « aires thématiques », pour reprendre lexpression de Van Gennep bien quelles soient largement disponibles sur Internet. La rumeur du chien 21, apparue dans les années 1970 en Afrique de louest, a connu ainsi plusieurs poussées de fièvre : en 1977 et 1993 en Guinée, et aujourdhui en Côte-dIvoire : « Un acte de prostitution révoltant. Cest que, quelques jours auparavant, [deux filles] sont allées vendre leur charme à des militaires français, dans les environs de laéroport, pour 30 000 Fcfa chacune. Et, selon leur contrat, après le passage des Blancs, elles devaient faire ça avec deux bergers allemands. [ ] Sentant la douleur et paniquées, elles ont voulu se dégager des chiens. Ce quelles ne savaient pas, cest que lorsquun chien veut se libérer, son sexe prend du volume et il sagrippe avec violence à sa chienne. Ce qui pour lui est normal. Frustrés donc de voir leur plaisir brutalement sarrêter avant terme, ils ont manifesté leur mécontentement avec griffes et gueule sur leurs partenaires sexuelles qui se sont retrouvées à lhôpital. Puis à la morgue pour lune des filles avides dargent et sans scrupule. » 22 À chaque fois, lhistoire plonge dans le sordide et le graveleux mais cest bien la même histoire à chaque fois, à quelques variations près. Or ce fait journalistique (car il est raconté comme vrai) ne semble pas sortir de laire thématique ouest-africaine. Cest la preuve peu inédite, il est vrai, mais toujours bonne à rappeler quune composante culturelle intervient dans toute diffusion de rumeur. Dautres rumeurs suivent le même exemple. Bien que disponibles sur Internet, dans la presse, et dans le folklore, elles ne quittent pas laire thématique qui est la leur. On pourrait parler encore de lAfrique de lOuest, avec la rumeur des « rétrécisseurs de sexe » qui semble courir depuis le milieu des années 1990 23 : des « étrangers » (des Nigérians au Bénin, des Libériens au Gabon, etc.) auraient le pouvoir de faire disparaître par sorcellerie les organes sexuels de ceux quils croisent. Des troubles éclatent fréquemment : lynchages des présumés sorciers, exécutions extrajudiciaires, émeutes 24 ce qui reste malgré tout habituel dans des pays où la justice populaire sexerce ainsi tout au long de lannée (certes, cest dautant plus révoltant que lobjet de la vindicte est vain ; mais il ny a malheureusement pas là matière à nouveauté). On pourrait enfin citer la rumeur du Monkeyman (Figure 3). En 2002, un monstre à tête de singe échappe à toutes les polices, malgré une mise à prix de 50 000 roupies Il mutile ses victimes, sème la terreur à coup de griffes : les témoignages se multiplient dans la presse, les autorités politiques, policières et même militaires sont sur les dents. LInde tout entière, et par là également la diaspora indienne de par le Monde, est au bord de la syncope.
Figure 3. Illustration parue dans la presse
indienne Source : « "Monkey man"
reports spread fear in Indian state ». Comme lanalyse excellemment Jean-Jacques Mandel 25, on peut voir là une réincarnation en négatif du dieu-singe Hanuman, archange et médiateur entre les humains et les divinités Le singe est un animal hautement familier dans les grandes villes indiennes, on en compte des milliers à létat demi-sauvage, non comptés tous les singes domestiques qui accompagnent les Indiens dans leur vie quotidienne. Cest pourquoi sans doute, là encore, la rumeur du Monkeyman ne séchappe guère de la sphère indienne, malgré une grande présence sur Internet et une couverture médiatique extrêmement poussée au moment des crises (en 2002, par exemple).
Information, rumeur et folklore même matière ?Pour comprendre la diffusion des rumeurs dans lespace, il faut recourir aux vieilles leçons des sociologues fonctionnalistes américains, qui voyait en toute diffusion médiatique une diffusion thématique avant tout (ainsi était-on « influents » en matière politique quand on est un homme mais non en matière de mode) ; ou aux observations des spécialistes de la rumeur qui voyaient clairement une diffusion par sujet dintérêt pratique (les adultes sont dautant plus intéressés par les rumeurs qui touchent les enfants quils en ont 26). On peut également faire appel au bon sens, tout simplement, car la rumeur néchappe pas à la plaisante « loi de la proximité » qui gouverne également le choix des informations. Comme le dit Pierre Marc, « il existe sûrement des personnes quindiffère la sexualité de tel proche de la Reine dAngleterre, même si son comportement est important aux yeux de certains et sil les amène à dagréables indignations et à de longs bavardages. » 27 Aussi les nombreuses adresses de sites et autres courriers électroniques traitant de lactualité électorale américaine par exemple ne parviennent-ils guère en France tout au plus dans la sphère restreinte des américanistes. De même, les mises en garde sur différentes entreprises françaises soupçonnées dêtre les victimes de rumeur ces dernières années (Nature et découvertes, Buffalo Grill, Total) nont guère de chances de traverser durablement lAtlantique. Il reste sans doute à inventer un parcours de la rumeur et linscrire un « espace hodologique » : « Lespace où se déploie la rumeur, la route (hodos) quelle prend, que nous qualifions despace hodologique, permet déviter la dichotomie groupes clos / groupes ouverts qui ne rend guère compte des chemins quelle emprunte, des connexions quelle crée et de celles quelle déconnecte. Car le on de la rumeur qui se prévaut en même temps dun ensemble, dun nous non constitué, se déploie dans un espace commun qui fait feu de tout bois. » 28 Mais, pour cela, il ne faudra pas compter sans létude du contexte, de la culture, de tout ce que comprend déjà létude du folklore. La rumeur est en effet un phénomène extrêmement lié au folklore, en ce sens que la plupart des récits qui sont nommés rumeur partagent les mêmes traits communs que les légendes, les mythes, et les blagues : ils circulent non de lieux en lieux, mais de groupes en groupes. |
Notes1 Cf.
article « VIH Alerte de la GRC canadienne et de la
police parisienne » sur http://www.hoaxbuster.com/
hliste/ fev01/ hiv.html (en français) ou celui de David Emery,
« Welcome to the world of AIDS », sur http://urbanlegends.about.com/science/urbanlegends/
library/ weekly/ aa052198.htm (en anglais). Ou encore les livres
de Campion-Vincent & Renard (Légendes urbaines. Rumeurs
daujourdhui. Paris : Payot, 1992) ou de Brunvand
(Curses ! Broiled Again ! New York : W.W. Norton,
1989), toujours croustillants
2 Morin,
Edgar & coll., 1969 : 28. La rumeur dOrléans.
Paris : Seuil, coll. « Lhistoire immédiate »,
255 p. 3 Morin,
Edgar & coll., 1969 : 19 4 Cf.
Froissart, Pascal, 2002 : 94. La rumeur. Histoire et fantasmes.
Paris : Belin, coll. « Débats », 280 p. 5 Jean-Bruno
Renard, 1990 : 26. « Les décalcomanies au Lsd.
Un cas limite de rumeur de contamination ». Communications.
N°52, pages 11 à 50. 6 Brunvand,
Jan Harold, 1984 : 167. The Choking Doberman and Other New
Urban Legends. New York : W.-W. Norton & C°. 7 Communauté
urbaine de Montréal, Police, 1991. « Information erronée
circulant auprès des jeunes sur lexistence de tatouages
piqués de drogue ». Communiqué de presse.
16 octobre. 1 page. Aimablement communiqué par Lyse
Laberge (Documentation personnelle). 8 Renard,
Jean-Bruno, 1990. Op. cit. 9 Laberge,
Lyse,1993. Documentation personnelle. 10
Cf. Privacy International & GreenNet Educational Trust, 2003. Silenced :
an international report on censorship and control of the Internet.
Disponible sur www.privacyinternational.org/ survey/censorship 11
Cf. Froissart, Pascal,2002 : 14. Op. cit. 12
Cette dernière nest pas mise à jour en continu,
mais par période (deux ou trois mois), ce dont Peter
Norving, le Directeur de la qualité de recherche (sic)
chez Google sexplique dans Wired. http://www.wired.com/
news/ infostructure/ 0%2C1377%2C58497-2%2C00.html. Voir aussi http://microdoc-news.info/
home/ NewsOnGoogle/ 2003/ 07/ 07.html/1 13
Actes des apôtres. 8, 26-40. Cités par Fish, Lydia,
1976. « Jesus on the Thruway : the Vanishing Hitchhiker
Strikes Again ». Indiana Folklore. Vol. 9, nº 1,
pages 5 à 13. 14
Thériault, Paul-Émile, & Boivin, Normand,1992 :
A8. « Fantôme du Parc des Laurentides. La réalité
dépasse parfois la fiction ». Le Progrès-Dimanche
(Chicoutimi), 6 septembre, page A8. 15
Roberge, Martine, 1989 : 88. La rumeur. Québec :
Université Laval & Célat, 76 p. 16
On en dénombre une cinquantaine dans la page « Yahoo
Directory on Urban Legends », http://dir.yahoo.com/Society_and_Culture/Mythology_and_Folklore/
Folklore/ Urban_Legends 17
Exemples de sites écartés : http://www.silcom.com/~barnowl/chain-letter/evolution.html
qui fait pourtant autorité en la matière ; http://www.touristofdeath.com
qui semble extrêmement utile à lanalyse des rumeurs
parodiques
) 18
http://www.glreach.com/globstats/index.php3
19
Pourtant, en 2003, un quart des internautes au moins sont issus de cette
zone (Chine : 12 % ; Japon ; 10 % ; Corée :
4 %). Cf. http://www.glreach.com/
globstats/ index.php3 20
Les logiciels de navigation (Internet Explorer, Mozilla, Netscape) appartiennent
à des firmes américaines. Seul un logiciel, Opera, est
dorigine norvégienne (2.1 % du marché, selon
W3Schools, 2004. « Browser Statistics ». http://www.w3schools.com/
browsers/ browsers_stats.asp). 21
Cf. Froissart, Pascal, (1995) 1999 : 105-120. « La rumeur
du chien. Une approche communicationnelle ». In Françoise
Reumaux (dir.), 1999. Les oies du Capitole, ou les raisons de la
rumeur. Paris : Cnrs Éditions, coll. « Cnrs
communication », 225 p. 22
Bléoué, Herman, 2003. « Elle couche avec un
berger Allemand, puis meurt » Notre Voie. Nº 14 mai.
Disponible sur http://www.abidjan.net/
actualites/ article/ articles.asp?n=45031 [cache] 23
Duplat, Domitille, 2002. « Rumeur et xénophobie :
un mélange meurtrier en Afrique de lOuest ».
Hommes et libertés. Nº 117 (« Terrorisme
et violence politique », janvier-mars 2002). http://www.ldh-france.org/
docu_hommeliber3.cfm?idhomme=962& idpere=934 24
Ledit, Igor 2001. « La rumeur des rétrécisseurs
de sexe : entre communication traditionnelle et communication moderne
dans lAfrique contemporaine », Les cahiers du journalisme.
Nº 9. 25
Mandel, Jean-Jacques, 2002 : 112-135. « Lhomme-singe ».
Géo. Nº 282 (août). 26
Kapferer, Jean-Noël, 1985. « Consommation : le
cas de la rumeur de Villejuif ». Revue française
de gestion. Nº 51, pages 87 à 93. 27
Marc, Pierre, 1987 : 149. De la bouche
à loreille.
Psychologie sociale de la rumeur. Cousset (Suisse), Delval, 254 p. 28 Reumaux, Françoise, 1994 : 16. Toute la ville en parle. Esquisse dune théorie des rumeurs. Paris : LHarmattan, coll. « Logiques sociales », 1994, 205 p. |