Pascal Froissart

La rumeur du chien
Une approche communicationnelle
 
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Source : FROISSART, Pascal, 1995 : 105-120.
In REUMAUX, F. (dir.), 1999. Les oies du Capitole, ou les raisons de la rumeur.
Paris: CNRS Éditions, coll. « CNRS Communication », 225 pages.  

 

  Quand un seul chien se met à aboyer à une ombre,
dix mille chiens en font une réalité.
Proverbe

1. Introduction

L'acception du mot rumeur est très variable, tant au cours de l'histoire [1] que parmi les membres de la communauté scientifique : pour les uns, elle n'est qu'une « proposition pour croire » [2] ; pour les autres, un phénomène ethnologique dont la peur est le moteur [3] ; pour d'autres encore, une arme supplémentaire dans la panoplie du petit guerrier psychologique [4], du digne manager ou du bon politicien [5], voire enfin un outil de collecte des données sur le moral des armées [6] !

Dans la plupart des cas, la tendance à lier rumeur et information, rumeur et contrôle, est très forte. Cela tient aux conditions de déploiement du concept lui-même [7] : la rumeur (en tant qu'objet de recherche) a connu ses premiers développement en pleine guerre mondiale [8], au sein d'une population américaine qui, à part de rares passes d'armes sur les côtes, ne voyait du conflit que ce qu'en rapportaient les médias (journaux, radio, actualités filmées, courrier) et quelques soldats blessés ou en permission. Cette ambiance "normative" se ressent tout naturellement dans les premiers travaux publiés après-guerre par quelques professeurs d'université proches des services de renseignement : la rumeur est décrite comme « répandue sans vérification officielle » [9], en dehors de toutes « données concrètes permettant de témoigner de son exactitude » [10].

L'incidence du texte sur le contexte, de la vérité sur la croyance, ressemble bien à la tare congénitale des études sur la rumeur. Les chercheurs se mettent en position d'attester la réalité, alors qu'ils n'en ont ni les moyens ni la légitimité. Cela donne lieu à des excès intéressants : ainsi le psychologue disserte-t-il sur les "rumeurs" entourant la catastrophe nucléaire de Three Miles Island (une centrale atomique accidentée en 1979) [11]... alors qu'il y a loin de la psyché à la tuyauterie nucléaire et à l'épidémiologie.

Si l'on ne veut pas suivre la voie procédurale de la "vérification des faits" (d'autres corps constitués, tels la police ou la presse, s'en chargent), que reste-t-il au chercheur ? La compréhension du phénomène, sans doute. Ce dernier est étrange : le message de la rumeur ne circule que si les auditeurs partagent tous le même centre d'intérêt. Certes, l'anxiété peut expliquer la diffusion des croyances [12], mais il est improbable qu'une ville entière, qu'un pays entier partage la même angoisse, au même moment, avec la même intensité. Il faut donc qu'il y ait autre chose. Ce "autre chose" nécessite que l'on aille sur le terrain. C'est ce dernier que je vais exposer ici, à l'occasion d'une étude de cas originale sur la "rumeur du chien", baptisée ainsi en raison de son motif central. Je présenterai d'abord le "texte", c'est-à-dire le contenu recueilli au cours d'une enquête ethno-sociographique. Puis j'étudierai les personnages mis en scène par la rumeur, de manière à donner corps à une description de la société guinéenne dans laquelle le phénomène a pris naissance.

 

 

2. La "rumeur du chien" : un scénario de série B

En avril 1992, des événements ahurissants surviennent à Conakry, capitale de la République de Guinée (Afrique de l'ouest). Une population en furie rase la villa d'un "Blanc" [13] ; des tracts pornographiques se mettent à circuler de main en main (cf. annexe) ; des explosions émeutières secouent la ville. Les médias d'État s'en saisissent, citant noms des protagonistes et lieux, les téléscripteurs de l'AFP se mettent à crépiter...

Des Guinéens ont manifesté le 20 avril dans le quartier de Madina, le plus peuplé de Conakry, brutalisant les jeunes femmes portant un pantalon ou une minijupe. À l'origine de ces violences, l'arrestation, la veille, d'un ressortissant espagnol qui aurait tourné secrètement des films pornographiques à son domicile. Les habitants du quartier ont failli le lyncher et s'en sont pris ensuite aux automobilistes européens de passage dans le quartier, qu'ils ont molestés. Le ministre de l'Intérieur a présenté ses excuses aux Européens victimes, ou menacés. L'enquête de police aurait révélé que l'affaire n'était en réalité qu'une "pure machination dénuée de tout fondement". [14]

L'agitation diminue enfin après l'intervention télévisée du Ministre de l'Intérieur puis du Chef de l'État lui-même. On relève cependant un mort [15] au moins, des dizaines de blessés, et on parle de 45 arrestations [16] diverses. Et puis, contre vents et marées, les langues continuent de fredonner le refrain de la rumeur...

Que raconte-t-elle, au fait ? Une jeune Conakryka [17] expose ce qu'elle a entendu « pour la première fois au domicile de [son] oncle » [18].

Un mobile d'argent était à la base de cette affaire... à laquelle je crois... en partie. Car, dit-on, trois filles, une Soussoue, une Peulhe et une Malinké [19], s'étaient laissées entraîner dans une villa d'un Européen à Hamdallaye pour se livrer à une vie de débauche en contrepartie de quelques poignées de dollars. Un cameraman était placé dans un coin de la chambre pour filmer les actions... de l'accouplement du chien aux filles. Ces films devaient servir par la suite à une commercialisation en Europe.

Le rôle du gardien consistait à être aux aguets du grand portail pour congédier éventuellement tout visiteur. Finalement, les notables du quartier ont été informés de la rumeur et se sont par la suite décidés à alerter la population et la police pour mettre fin à un tel commerce immoral et honteux. Les badauds en ont profité pour piller la villa et s'approprier toutes les richesses s'y trouvant. J'ai visité le lieu du drame quelques jours après. La villa était méconnaissable à cause des dégâts.

C'était aussi une fin temporaire des minijupes, pantalons et coiffures européennes pour les filles. Les Européens n'osaient plus apparaître avec des Africaines. Pendant la semaine qui a suivi, j'ai vu des filles qui ont été battues et chassées à cause de leurs minijupes. Des voitures d'Européens ont été cassées par les voyous du quartier Hamdallaye. La brigade antigang a vite fait de prendre des dispositions pour maîtriser l'émeute.

L'histoire est sordide à souhait : sexe, fric, scandale... Tous les ingrédients d'un scénario de mauvais film sont là (mauvais par l'accumulation des effets attendus et des stéréotypes). Mais l'histoire se diffuse néanmoins de la manière la plus insensée qu'il soit. À preuve, la presque totalité (96 %) des personnes interrogées [20], résidant régulièrement dans la capitale, déclarent connaître l'histoire du chien (chez les expatriés, le taux de reconnaissance est 100 %) ; seules 3 sur 77 ignorent de quoi il s'agit. À preuve également, les tracts pornographiques qui se mettent à circuler sous le manteau, malgré une police omniprésente, et dont le prix est encore un indice s'il en faut de la très forte implication des Conakrykas. Ces photocopies-de-photocopies sont vendues entre 500 et 2 000 FG ; à titre de comparaison, un repas normal pris dans un restaurant populaire vaut 300 FG. C'est comme si, en France, on vendait une photocopie à 50 FF, ou au Canada à 10 $. Quel succès pour une rumeur !

Quelques mois plus tard, il est toujours difficile d'enquêter sur l'événement. Les sources officielles habituelles ne sont pas d'un grand secours : les autorités policières renvoient aux instances politiques, ces dernières opposent sans le dire des fins de non-recevoir (selon lesquelles par exemple, il n'y a « rien à dire » sur ce sujet). Lors d'un exercice de journalisme d'enquête [21], des étudiants en journalisme de la Faculté de lettres ne réussissent pas davantage à obtenir un quelconque témoignage. Les personnes-ressources leur demandent des « ordres de mission », pratique désuète héritée du régime dictatorial mort dix ans plus tôt, et refusent de témoigner, voire parfois, font acte d'autorité : elles leur interdisent de traiter d'un tel sujet ! Certains des jeunes étudiants se voient menacés d'être battus ou même « jetés au cachot » !

Or il ne s'agit pas de censure, ou tout du moins pas dans le sens courant. La chape de plomb est librement imposée : le Ministère de l'Information n'a émis aucune directive particulière ; l'hebdomadaire gouvernemental a longuement traité le sujet durant 3 semaines ; enfin, le jeune journal d'opposition Lynx, né quelques mois plus tôt, ne s'est pas privé d'en parler lui aussi, et il ne s'est pas attiré la foudre des autorités. Il s'agit donc d'autocensure a posteriori que chacune des personnes interrogées s'est infligé et qui n'a pas été propre aux milieux officiels. Un cadre d'un jeune hebdomadaire indépendant justifie l'absence de commentaires qu'il faut observer -- selon lui : « Il ne fallait rien publier là-dessus. Nous, on a immédiatement mis la nouvelle sous embargo. Il ne fallait pas rajouter d'huile sur le feu... Tout le monde l'a très bien compris : aucun journal n'en a parlé. Il n'y a que le Lynx qui en ait parlé. C'était une très, très grosse bêtise. » [22]. Refuser de parler d'un sujet, c'était automatiquement lui accorder une grande importance.

 

 

3. L'explication de sens commun : la "force du texte"

La rumeur a touché toute la population de Conakry, provoquant parfois un certain étonnement : « Moi, j'étais plutôt étonné que toute une population entre en rébellion et fracasse des voitures à cause d'un tel événement. C'est sa vie privée, puisqu'elle ne l'a pas fait dans les rues pour atteindre à la pudeur des gens. Seules les institutions ont le droit de s'en occuper... » (cordonnier, 36 ans).

On pourrait penser dans un premier temps que la force de pénétration de la rumeur, son impact, tient au type de civilisation dans laquelle s'insère l'étude : l'Afrique et ses traditions orales [23]. L'argument doit être rejeté sans procès. Ce serait suivre en effet une voie néo-colonialisante de croire que la vie dans une grande capitale d'Afrique est différente par essence de la vie dans une mégalopole européenne ou nord-américaine [24]. De plus, et surtout, l'oralité traditionnelle est structurée [25] : la parole est codifiée et la prise de parole également. Or la rumeur du chien transcende les règles habituelles : statistiquement, sur le modeste échantillon de notre étude, la classe, la caste, le sexe ou l'âge ne sont en aucun cas des variables explicatives. Ce n'est donc pas de l'Afrique que la rumeur tire sa force.

Dans un deuxième temps, on peut arguer que la rumeur a connu cette immense diffusion par la seule force du texte. La rumeur du chien toucherait tout un chacun parce qu'elle s'attache à des aspects essentiels de la société guinéenne : les tabous, la moralité publique... Mais de nouveau il faut déchanter : certes la bestialité est taboue et des interdits traditionnels ou légaux s'y attachent [26]. Mais l'univers légendaire guinéen n'a pas attendu la modernité pour mettre en scène ces tabous -- sans causer alors d'autres dommages qu'éclats de rire et explosion d'hilarité. Un conte populaire peulh, par exemple, met en scène les organes génitaux d'un âne et passe allègrement sur les tabous de la bestialité, du fétichisme, du voyeurisme et même de la sodomie [27].

De même, les contes et légendes traditionnels en langue arabe (la Guinée est en majorité musulmane) n'hésitent pas à faire de ces tabous le centre de leur narration : « l'amour zoophile [...] est très courant dans le monde arabo-musulman, aussi bien dans le réel que dans les représentations. [...] Les Mille et une nuits font état de deux scènes manifestes de zoophilie. » [28]

Enfin, il existe une bestialité rituelle dans de nombreuses régions d'Afrique, en particulier dans le Golfe de Guinée. Les Ijaw du Nigeria y pratiquent « un coït rituel avec les antilopes et les brebis, soit pour préparer le succès de la chasse, soit au cours des cérémonies d'initiation des garçons » [29]. Ce n'est donc pas dans la partie scandaleuse du "texte" de la rumeur qu'il faut en chercher la puissance d'impact.

La notion de moralité publique n'explique pas non plus que la rumeur ait pu trouver autant d'auditeur. Il est vrai que l'amour vénal est moralement réprouvé (la rumeur du chien parle d'un acte sexuel rétribué) et plus encore la mixité ethnique (l'histoire est celle d'une relation particulière entre un étranger et une Guinéenne). Cependant, les faits sont souvent contraires à la morale : il existe des maisons closes à Conakry et leur notoriété est publique. D'un tout autre point de vue mais dans la même optique, nombreuses sont aujourd'hui les jeunes Guinéennes qui se détachent du modèle traditionnel et se marient avec des membres d'une ethnie différente de la leur.

Bref, la société change et la morale conserve le même discours -- phénomène également connu des civilisations occidentales. Or le discours moraliste n'est pas partagé par toute une population : il est structuré (par l'institution religieuse, par le système des classes d'âge...) et diffusé. De plus, il n'existe pas d'indice pour penser -- sauf peut-être dans un rêve intégriste -- qu'une population entière soit mobilisée par le même motif moral. Il est donc illusoire de croire que la rumeur a "surfé" sur une seule vague moraliste. Enfin, dernier argument à propos d'immoralité, les histoires qui font le quotidien de la presse (assassinats, vols, viols) sont tout aussi vulgaires. Mais elles ne causent pas pour autant une émotion populaire dégénérant en émeutes et elles n'obligent pas, fait rarissime, le Ministre de l'Intérieur et le Président de la République à intervenir à la télévision.

 

 

4. La rumeur comme grille de lecture imparfaite

Le texte, quel que soit sa force, n'explique pas l'extraordinaire diffusion de la rumeur, ni la crédulité (ou l'incrédulité) de ceux qui l'ont "parlée". En revanche, le texte de la rumeur est une excellente grille de lecture pour celui qui veut appréhender la vie des Conakrykas dans toute sa complexité. Analyser la vraisemblance du propos par exemple (car, pour avoir été diffusé à cette échelle, il faut que le texte ait été vraisemblable à tous, et non à quelques uns) permet d'accéder à une description sociale très riche. Prenons par exemple les deux personnages qui font le centre du récit : l'homme riche et la jeune femme. On peut alors suivre cette piste et essayer de voir pourquoi la rumeur s'intéresse aux hommes étrangers et pourquoi elle les affuble de la panoplie de l'obsédé sexuel. Et également, pourquoi elle met en scène des jeunes femmes guinéennes.

 

 

a. Le personnage de l'"étranger"

« Le Blanc a donné de l'argent à la fille pour qu'elle accepte de faire des rapports avec son chien », résume une jeune femme (20 ans, élève). En effet, la rumeur met en scène un homme étranger, et non un autochtone. Au jeu de la substitution, la précision a son importance, surtout à la lumière de l'histoire des étrangers en Guinée. Ceux-ci y sont d'abord très nombreux : dans les comptoirs commerciaux avant l'établissement de la Colonie ; dans l'administration, les plantations et le négoce, pendant la Colonie [30]. Lorsque vient le temps de l'Indépendance, la passation des pouvoirs est conflictuelle. La Guinée se vide peu à peu de ses étrangers en même temps que, sous la férule d'un président autocrate, le pays se ferme au monde extérieur [31]. Les étrangers deviennent alors rarissimes et sont considérés comme dangereux à fréquenter. La mort du dictateur en 1984 provoque une véritable implosion du système : la milice est démembrée, les frontières s'ouvrent brutalement, les libertés fondamentales commencent à apparaître. Il s'ensuit un afflux d'étrangers (diplomates, coopérants, expatriés) et un lent reflux des nombreux Guinéens qui avaient fui la dictature (stigmatisés par le surnom de « diaspos » pour "membres de la diaspora").

Dès lors, les relations entre Guinéens et étrangers se mettent à changer, d'autant que 26 années de dictature n'ont pas effacé la tradition hospitalière africaine. Des couples mixtes réapparaissaient, événement inconcevable moins de dix ans auparavant : « Avant la Deuxième République, c'est vrai qu'on ne voyait jamais une jeune Guinéenne au bras des Blancs. C'était impensable. Mais maintenant ça se voit de plus en plus, alors qu'avant on se cachait ! », dit l'un (sociologue, 30 ans). Tandis qu'un autre commente les changements dans les moeurs guinéennes : « Dans notre temps, c'était une chose déshonorante que de vivre avec un Blanc ou même un simple étranger. La nouvelle alors se propageait un peu partout et quelquefois même la famille était boudée et critiquée par les voisins. Maintenant, bien sûr, les choses ont changé. » (secrétaire de direction, 42 ans).

L'évolution des moeurs n'a pas l'heur de plaire à tout le monde, bien évidemment. « Je ne suis pas contre les mariages interraciaux, car je suis un inconditionnel de l'amour. Mais je ne supporte pas l'amour libre des filles qui vont avec des Blancs. Car je sais qu'ils s'en servent pour leur séjour et leur libido et qu'ils les larguent à la première occasion » (gardien, 29 ans). L'accusation est forte, et d'autant plus qu'elle reprend un air connu et qu'elle est liée à la condition de l'étranger en Guinée : payés en devises étrangères, occupant des postes souvent haut placés, jamais "intégrés" à la culture locale. La notion de richesse réapparaît à l'occasion : « Le Blanc, il parvient toujours à ses objectifs avec son argent. Nos filles sont des affamées, c'est pourquoi je dis que ça doit être possible. Tout s'achète, il suffit de savoir où trouver le client. » (gardien de nuit, 36 ans) ; « Les femmes préfèrent les étrangers. Peu importe la morale de celui-ci ou sa religion, pourvu qu'il dispose de voiture, une belle demeure et de l'argent. » (commerçant, 40 ans).

L'image de l'étranger omnipotent en Afrique verse dans le stéréotypes mais il est bien malaisé de la rejeter du revers de la main. Les étrangers présents en Guinée sont généralement plus riches que la moyenne, il est vrai. Parfois, leur richesse n'est pas "absolue", car la simple loi des taux de change procure à nombre d'entre eux une richesse relative. Mais la plupart du temps, la richesse est réelle : les fonctionnaires internationaux et autres personnels expatriés touchent de mirobolantes primes d'éloignement non imposables, tandis que les commerçants étrangers font le gros de leurs affaires avec les institutions internationales. Et tous ces "expat's" vivent dans des villas qui, aux yeux de tous, sont assurément des signes extérieurs de richesse. « Ils ont un mode de vie qui frise l'insolence quand on regarde la misère de la population moyenne. Les expatriés sont tout-puissants dans le pays. Alors les gens en ont ras-le-bol » , résume un employé de banque (39 ans). Et parmi ces "Blancs", certains hommes entretiennent un commerce étrange avec les jeunes femmes du crû. Le stéréotype du "colon grand séducteur" repose certes sur des faits historiques (tel le "mariage colonial", qui autorisait le colon à laisser sa compagne à son successeur... avec les meubles), mais aussi sur des pratiques quotidiennes. Pour s'en convaincre, les indices sont légion : ici, des oeuvres romanesques, comme le chapitre « African Girls » d'un roman à succès My Secret History [32] où l'auteur, ancien coopérant en Tanzanie, décrit une "consommation" quotidienne de jeunes femmes ; là, une description ethnographique des boîtes de nuit : au bar sont pesamment installés des expatriés de toute origine et de tous âges... au bras desquels sont pendues de très jeunes femmes qui disparaissent avec le jour comme des chouettes. Et puis enfin, dernier indice mais non des moindres, certains guides touristiques. À titre d'édification, voici l'extrait de l'un des plus populaires [33], intitulé sans fard « La femme africaine » (pp. 45-46).

Dieu sait que la femme est en Afrique un atout majeur. (...) Rien n'est plus normal que d'accoster une femme pour lui chuchoter : "J'ai envie de toi." Et l'autre peut très bien refuser, sans problème. Mais ce n'est pas toujours le cas. (...) Souvent la femme africaine "boutique son cul". En réalité, il y a tout un monde entre la prostituée traditionnelle et la jeune fille qui, après la nuit, attendra un "petit cadeau". Le cadeau est une tradition profondément ancrée et même le Noir n'y échappe pas. La femme offre ce qu'elle a de plus intime, il est normal que l'homme donne quelque chose en remerciement. Ce peut être un billet de banque mais aussi une bouteille de parfum ou une photo Polaroïd.

L'abstraction « la femme » (plus loin, on lira « l'Africaine » ou « la "belle négresse" » [ibid.]) résume à elle seule la conception peu reluisante, voire concupiscente, des rédacteurs du guide. À la décharge de nombre d'Occidentaux mâles, il est sans doute difficile de résister aux « sourire, clin d'oeil, et blague coquine... » (ibid.) des jeunes femmes qui cherchent du bon temps, un avenir doré ou un peu de confort. Un cercle vicieux s'est enclenché, les hommes trouvant les femmes faciles, les femmes faisant des avances aux hommes. Quoi qu'il en soit, le "mode de relation" particulier entre les étrangers en Afrique et les jeunes femmes autochtones est fortement connoté par les notions de richesse et d'absence de sentiments -- ce qui est, comme par un fait exprès, le noeud de la rumeur.

La proximité entre la représentation collective et la réalité sociale est donc très forte : sous cette loupe, l'étranger semble n'être plus qu'un consommateur de femmes, apparemment riche et sans état d'âme. On s'en doute cependant, la vision est tronquée, trop globalisante. On voit ici l'un des effets, et sans doute le plus fort, de la rumeur : par son travail narratif, elle réduit le champ du possible. « Le récit fait croire et par là il fait faire ; il loue ceci et déconsidère cela ; il classe. D'autre part, il produit de l'oubli ; il institue un silence à propos de ce dont il ne parle pas. » [34] La rumeur a construit dans son procès narratif un personnage de "Blanc", cohérent et vraisemblable. Mais elle ne fait que l'esquisser ; chacun des auditeurs de la rumeur saura l'interpréter à sa manière.

 

 

b. Le personnage de la jeune femme

La première partie de l'analyse du contexte, centrée sur le personnage de l'étranger, a montré que le personnage de l'étranger amenait fatalement à se pencher sur les aspects stéréotypés, comme l'absence de sentiment et la possession d'argent. La seconde partie, complémentaire -- et sans doute même sous-jacente -- à la première, s'articule maintenant autour du personnage principal de la rumeur : la jeune femme. Celle-ci est décrite dans la rumeur en train de transgresser les interdits en série. Elle semble jouir en effet de la liberté la plus grande (aucun tabou, aucune conduite morale), aussi bien psychologique (je fais ce que je veux...) que physique (...avec mon corps).

La liberté, que prend la jeune femme dans l'histoire rapportée, représente sur le plan social davantage qu'un simple choix personnel (« la configuration individualiste des idées et valeurs est caractéristique de la modernité » [35]). Dans une société traditionnelle en effet, c'est un véritable défi aux institutions. La première de celles-ci à être mise en péril, l'éducation : « Tout le monde était indigné et se sentait concerné car on portait atteinte à la base de l'édifice social des parents guinéens qui est ici l'éducation », dit un entrepreneur (52 ans) ; « Pour ma part, c'est ce qui signifie que la société est effectivement en crise. Les parents ne croient plus en leurs pouvoirs de dissuasion. Aussi, ce fait divers était l'argument qu'il fallait pour exprimer la rancune qu'ils avaient de la conduite des enfants qui était trop différente », confie un fonctionnaire (51 ans). Et deuxième institution, la religion : « Surtout que les filles d'aujourd'hui ne font rien qui puisse aller avec la recommandation de la religion et des conseils des parents » (secrétaire de direction, 42 ans) ; « Les filles devraient se méfier et accepter de se marier avec l'homme qui les aime. Elles ne doivent pas s'accrocher à l'idée de ne choisir que l'homme riche en voiture, argent et de beaux habits. La richesse de l'homme, c'est la bonne éducation, l'instruction et le bon comportement religieux. » (ménagère, 52 ans). La rumeur semble donner à voir, sous cet angle, le problème de la liberté individuelle.

Or les sociétés traditionnelles se reconnaissent précisément à la place congrue qu'elles laissent au choix individuel : « elles peuvent être dites égalitaires et régies par la règle de l'unanimité, en raison des techniques sociales qui ont pour fonction d'éliminer les dissentiments et d'engendrer une volonté collective. » [36] Le poids de la tradition se fait sentir davantage qu'ailleurs en Occident où la hiérarchie gérontocratique a laissé la place à une stratification sociale toute différente et engendré une négociation constante entre représentations des sphères publique et privée.

Nos deux configurations (traditionnelle ou moderne) articulent deux relations différentes entre la connaissance et l'action. Dans le premier cas, l'accord entre les deux est garanti au niveau de la société (...). Dans le second cas, il n'y a pas un ordre du monde humainement significatif, et il revient au sujet individuel d'établir la relation entre les représentations et l'action, c'est-à-dire en gros entre les représentations sociales et sa propre action. ( Ibid., page 255)

Pourtant, les sociétés africaines ne sont pas monolithiques comme une imagerie naïve le laisse parfois entendre : elles sont soumises constamment au vent du changement (occidental en particulier), par voie médiatique (à Conakry, les seuls films à connaître un succès populaires sont étrangers, presque toujours américains) et plus encore grâce aux nombreux échanges migratoires. La dialectique entre cultures propres et importées, progrès et dérives du progrès, etc., est consacrée. Les sociétés traditionnelles « s'efforcent, de façon consciente ou inconsciente, d'éviter que se produise ce clivage entre leurs membres, qui a permis ou favorisé l'essor de la civilisation occidentale ». [37] La rumeur du chien est la meilleure illustration de ces tensions sociétales.

Avec le personnage de la jeune femme dans la rumeur, on peut approcher le problème de la liberté dans une société traditionnelle : « Comme tu le sais, le trop plein de liberté est en contradiction avec la religion. » (gardien de nuit, 36 ans). Parler de la rumeur équivaut à rien de moins qu'à remettre en question la tradition elle-même. Les réactions sont vives et immédiates : « Nous évoluons à présent dans un certain modernisme qui risque de nous faire oublier toutes nos valeurs traditionnelles, nos coutumes et nos moeurs. Les personnes cherchent à atteindre une certain niveau de vie dont ils n'ont pas les moyens. Alors elles se livrent à toutes les bassesses pour atteindre les objectifs. » (ingénieur-"protecteur" [ sic], 30 ans). Parfois même, le problème de la modernité se pose en terme d'urbanité : « Dans la capitale, les traditions sont plus relâchées qu'au Fouta. L'émancipation y est très forte. On dit même que toutes les Peulhes de Conakry sont des dévergondées. En région, les normes sont plus strictes. » (journaliste, 36 ans).

Le discours simpliste de la rumeur sur la jeunesse déviante est utilisé pendant les jours d'émeutes qui ont été associés au surgissement de la rumeur [38] pour stigmatiser les jeunes femmes modernes. En effet, sont visées par les voyous et les foules émeutières celles qui prennent la liberté de s'habiller de manière non traditionnelle [39] : pantalons, jupes ou robes moulantes, à la place du boubou (longue tunique composée de plusieurs pagnes de couleur) ; tresses "rasta" ou perruques, au lieu de tresses savamment coiffées (plusieurs jours sont parfois nécessaires) ; maquillage coloré, alors qu'en dehors de quelques produits médicinaux les visages sont toujours vierges. Déroger au code traditionnel ouest-africain, c'est risquer alors de se faire traiter d'étrangère : « Voilà pourquoi la population s'était soulevée contre eux et les filles s'habillaient à la manière des Blancs, avec des pantalons et des jupes. » (mécanicien, 18 ans) ; « Pendant cette période, les filles n'osaient plus venir dans ce marché avec leurs jupes serrées et leur tignasse de Blanche. » (commerçant, 40 ans). Foules et voyous s'attaquent aux « filles dites "occidentales" » et mettent leur « accoutrement en lambeaux » [40].

Une réponse de sens commun consisterait à dire que la foule s'en est pris au personnage le plus faible que la rumeur exposait (les étrangers ayant leurs gardiens armés derrière eux, et leur ambassade). Malheureusement, on explique difficilement que, à elle seule, la loi du plus fort soit arrivée à mobiliser la population entière de Conakry contre la même cible (toutes strates sociales comprises). De nombreux étrangers ont été également pris à partie par des foules houleuses, preuve que les positions de force n'étaient pas en question. Une autre réponse de sens commun mettrait l'emphase sur la bipolarisation sexiste de l'événement et conclurait qu'il s'agit de la résurgence d'une volonté de domination masculine. La conclusion n'est pas aussi aisée à tirer car les mouvements de foule étaient cautionnés par tout un chacun et non seulement par les hommes : « Mais les populations étaient très indignées. Les femmes surtout. », dit par exemple une jeune infirmière (33 ans).

Mais il faut se garder d'inverser le propos : ce n'est pas la rumeur qui a créé l'intérêt pour ces problèmes, elle ne reflète pas davantage une « pensée sociale ». Elle n'est ni un révélateur, ni une cause étiologique. Elle n'est qu'un discours parmi d'autres. Les mouvements d'opinion réactionnaires ne l'avaient du reste pas attendu pour exprimer leurs inquiétudes ou leurs frustrations. Ainsi entend-on dans la ville ou lit-on constamment des appels aux « valeurs d'antan » et au « patrimoine culturel propre » [41].

Nous pensons qu'il est temps de lancer un cri d'alarme, de prendre des mesures de nature à redresser la situation. Si l'on est convaincue (sic) que la femme de demain est en puissance dans l'adolescente d'aujourd'hui il faut lui restaurer sa valeur d'antan. Si l'on veut sauver notre société il faut agir, remodeler la dynamique familiale avec des aspects relationnels, affectifs et éducatifs tirés de notre patrimoine culturel propre. (L'emphase est mienne.)

Ces points de vue conservateurs n'ont rien de très exceptionnels quand ils prennent place dans le débat continuel que le corps social entretient en matière d'émancipation de la jeunesse et de progrès social. Ils peuvent même s'expliquer, au regard des bouleversements politiques des dernières années. Le pays a connu en 1984 un revirement politique complet, passant de l'autarcie socialiste à un libéralisme quasi anarchique. Les soupirs nostalgiques de l'ordre ancien sont donc courants : « Dans l'Ancien régime, tu tenais ta langue et tu soignais ton comportement, sinon c'était le camp Alpha Yaya [colonie pénitentiaire de sinistre réputation] . Là, au moins, il n'y avait ni crime, ni vol, ni viol. » (commerçant, 40 ans) ; « Vous verrez la suite. Tout est permis maintenant. L'ouverture démocratique... oui, vers la débauche et le laisser-aller. » (administrateur civil, 48 ans). Sur le plan démographique et culturel, le retour de centaines de milliers de Guinéens de la diaspora, qui ont fui la dictature et qui rentrent avec une culture métissée de nombreuses influences, fait exploser les 26 années de mutisme forcé. Sur le plan social également, tout change avec l'arrivée au pouvoir de gestionnaires souvent formés en Occident et la plupart du temps secondés par des conseillers occidentaux. Ils mettent en place des programmes où les valeurs traditionnelles ont parfois du mal à se tenir : réforme du système sanitaire (vaccinations, infrastructures...), réforme du système éducatif (alphabétisation, université...), réforme de l'administration publique (presque un fonctionnaire sur deux est remercié)... La place des femmes dans la société, les tabous sexuels, la répartition des pouvoirs traditionnels... tout vibre au cours de la mutation ! La soudaineté des changements sociaux, politiques et culturels, ainsi que leur profondeur, expliquent en partie les discours vifs et brutaux dont bruit Conakry, et dont la rumeur du chien n'est qu'un avatar de plus.

La différence entre les discours réactionnaires et la rumeur du chien tient dans le fait que cette dernière ne propose pas de schéma social, de "prêt-à-croire" : elle est interprétable autant que l'on veut, de toutes les manières que l'on veut. Certains en avaient contre la pratique sexuelle : « Je ne suis pas contre le fait de voir une Négresse avec un Blanc mais la zoophilie me choque. » (commerçant, 41 ans) ; d'autres incriminaient le genre féminin : « Et j'étais en colère contre toutes les femmes. » (gardien, 29 ans) ; d'aucuns parlait de fierté nationale : « De tout ça, je me suis dit que c'était un dénigrement pur et simple de mon pays. » (inspecteur financier et comptable, 42 ans) ou y voyait la fatalité : « Je n'en voulais pas au Blanc : la perversion est si courante en Europe. » (sociologue, 35 ans). Bref, les interprétations sont multiples, jamais semblables et toujours renouvelées.

En conclusion, l'analyse de la vraisemblance de la rumeur du chien, en prenant pour appui les deux personnages principaux, nous donne accès à un discours sur la société qui, autrement, aurait été difficilement intelligible (d'autant moins pour un étranger). Cependant, la rumeur n'est qu'une illustration de la glose du spécialiste, une grille de lecture possible et imparfaite. Le chercheur n'échappe pas à la multiplicité des interprétations possibles ; il donne la sienne, voilà tout, un point de vue parmi d'autres. Mais surtout, il tâche de se tenir éloigné du problème de la véracité des rumeurs. À ce prix, il peut alors tenter une analyse non plus du message mais de la société dans laquelle il a circulé. Cesser de vérifier les rumeurs, c'est donc enfin accéder aux sociétés dans lesquelles les rumeurs se diffusent ?

 

 

5. Conclusion

La rumeur, si on la "déconnecte" de la véracité, devient donc un méta-discours d'un lieu et d'un temps donné. Elle est l'illustration parfaite d'un discours sur la société qui serait, autrement, aride et moins convaincant. Dans le cas particulier de la rumeur du chien, les problèmes d'émancipation et de liberté individuelle face aux institutions trouvent une illustration frappante dans la Guinée moderne. Mais il s'agit bien d'une illustration et non d'un portrait : le tableau de la Guinée que l'on peut faire au cours de l'analyse est partiel voire partial, la rumeur ne recouvrant qu'un aspect parmi d'autres d'une culture complexe et plurielle.

Pour le chercheur, la rumeur est un outil qui autorise de parler davantage de ceux qui ont été côtoyés au cours d'une enquête, que de la rumeur elle-même, ravalée au rang de produit de l'activité langagière (sans plus ni moins de prérogatives). Ainsi l'écueil de la "rumorancie" est-il évité : la rumeur n'est pas un filtre objectif d'une réalité inconnue ; une rumeur n'est pas décodable ni interprétable (ou plutôt, il y a autant de lecture que de lecteurs...). Il y a moins de "rumorologues" que d'observateurs d'un groupe d'individus, d'une société, d'une culture...

À la fin de son étude, la rumeur du chien s'avère être une simple histoire scabreuse, mettant en scène un chien anthropomorphe, des personnages principaux (un étranger, une ou des jeunes femmes) et des personnages secondaires (un gardien, un imam, la police...), qui pouvait aisément être caricaturés sur une feuille de format standard que les gens photocopiaient pour des sommes faramineuses. Mais, savamment choquante et équivoque, la rumeur donne lieu à mille interprétations... dont l'analyse savante n'est qu'une forme. L'approche communicationnelle prend sans doute là son sens, en ne reconnaissant pas de prééminence à l'interprétation de l'analyste par rapport aux multiples interprétations de ceux qui ont "parlé" la rumeur.

 

 

Annexes

Annexe 1 -- Fac similé du tract pornographique
Annexe 2 -- Analyse thématique de la rumeur du chien
Annexe 3 -- Liste des auditeurs interrogés
Annexe 4 -- Caractéristiques sociologiques de l'échantillon
Annexe 5 -- Carte de l'Afrique, et de la Guinée

 

 

 


Notes

[*]Ma gratitude va tout d'abord à Mohamed « Franck » Niang, sociologue, ainsi qu'à El Béchir Diallo, journaliste, qui ont, par leur connaissance parfaite du terrain et leur disponibilité à mes préoccupations, pris une part très active dans la réalisation de l'enquête. Je remercie également Philippe Sohet, professeur en communication à l'Université du Québec à Montréal, pour ses critiques amicales et éclairées. Merci enfin à F. Reumaux qui, en revoyant le texte, a su relever des imprécisions qui le rendaient moins lisible.
[1] REUMAUX, Françoise, 1989. « Rumor et opinio », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 36, nº86 (janvier-juin), pages 124 à 139.
[2] ALLPORT, Gordon Willard & Leo Joseph POSTMAN, (1947) 1965. The Psychology of Rumor, New York, Russel & Russel, 247 pages.
[3] ROBERGE, Martine, 1987. La rumeur comme genre traditionnel : son fonctionnement, ses fonctions -- ou la rumeur : un cri du corps. Mémoire de maîtrise en ethnologie. Québec : Université Laval, Faculté des lettres, 166 pages.
[4] KISHLER, John P. et al., (1952) 1968. « The Use of Rumor in Psychological Warfare », pages 657-666, in DAUGHERTY, William & Morris JANOWITZ (s.dir.), A Psychological Warfare Casebook, Baltimore, Johns Hopkins Press, 880 pages.
[5] CARITEY, Jacques, 1980. « Rumeur et politique », Revue administrative, nº33 (mai-juin), pages 250 à 252.
[6] KNAPP, Robert H., 1944. « A Psychology of Rumor », Public Opinion Quarterly, nº8, pages 22 à 37.
[7] On peut dater approximativement la naissance du concept au début du siècle, et son développement institutionnel avec les travaux de l'OFFICE OF WAR INFORMATION, 1942. Intelligence Report : Rumors in Wartime, United States Information Service (USIS -- declassified), dont les résultats paraissent peu après la Guerre mondiale (KNAPP, op. cit. ; ALLPORT, Gordon W. & Leo POSTMAN, 1946. « An Analysis of Rumor », Public Opinion Quarterly, vol. 10, nº4, pages 501 à 517.).
[8] Je parle de l'émergence du concept et non du phénomène lui-même, connu de tout temps. Avant-guerre, à part deux articles souvent cités (KIRKPATRICK, Clifford, 1932. « A Tentative Study in Experimental Social Psychology », American Journal of Sociology, vol. 38, nº2 (septembre), pages 194 à 206.) et PRASAD, Jamuna, 1935. « The Psychology of Rumour : A Study Relating to the Great Indian Earthquake of 1934 », British Journal of Psychology, vol. 26, nº1 (juillet), pages 1 à 15.), rares sont les travaux qui en font leur objet d'étude.
[9] « [A rumor is] a proposition for belief of topical reference disseminated without official verification. », KNAPP, op. cit., p. 22
[10] « A rumor, as we shall use the term, is a specific (or topical) proposition for belief, passed along from person to person, usually by word of mouth, without secure standards of evidence being present. », ALLPORT, Gordon Willard & Leo Joseph POSTMAN, (1947) 1965 : ix. The Psychology of Rumor, New York, Russel & Russel, 247 pages.
[11] ROSNOW, Ralph L. & Allan J. KIMMEL, 1979. « Lives of a Rumor », Psychology Today (juin), pages 88 à 92.
[12] Cf. ANTHONY, Susan, 1973. « Anxiety and Rumor », Journal of Social Psychology, vol. 89, pages 91 à 98 ; WALKER, Charles J. & Carol A. BECKERLE, 1987. « The Effect of State Anxiety on Rumor Transmission », Journal of Social Behavior and Personality, vol. 2, nº3, pages 353 à 360.
[13] Conduit par l'un des enquêteurs, j'ai pu en voir les restes : le toit était effondré, il ne restait plus que les murs -- sur l'un desquels on pouvait apercevoir le dessin enfantin d'un énorme chien.
[14] Dépêche reprise dans Marchés tropicaux et méditerranéens, 24 avril 1992, p. 1047
[15] SOW, Ibrahima, 15-17 avril 1992. « Une journée chaude : un mort, une blessée grave et des dégâts matériels », Horoya, vol. 31, nº3646, page 3. Le journal Horoya est l'« Organe national d'information » de Guinée, créé dans les premières heures de l'Indépendance, et dont les bureaux se trouvent dans les locaux du Ministère de l'information.
[16] KOULIBALY, Mohamed, 15-17 avril 1992. « Pour le retour de la quiétude », Horoya, vol. 31, nº 3 646, page 5.
[17] Une Conakryka est une habitante de Conakry. Les citations en italique et entre guillemets sont issues d'une étude ethno-sociologique, effectuée auprès d'un échantillon de 80 résidents de Conakry, réalisée en langue nationale (soussou, mandingue, poular ou langues forestières) et en français, par des enquêteurs guinéens sous ma direction, et par moi-même.
[18] Corroboré sans entrer dans les détails par de nombreuses sources annexes : CONDÉ, Aboubacar, 1992. « Violences : L'affaire de la fille et du chien à Hamdallaye », Horoya, vol. 31, nº3646 (15-17 avril), page 4 ; CONDÉ, Aboubacar, 1992. « 55 millions FG de dégâts », Horoya, vol. 31, nº 3 648 (24-28 avril), page 15 ; DIALLO, Souleymane, 1992. « Conakry : une vie de chien », Lynx, nº9 (20 avril), page 4 ; DIOMANDÉ, Alhassane, 1992. « Violence à Ratoma », Lynx, nº9 (20 avril), page 4 ; KOULIBALY, Mohamed, 1992. op. cit. ; LAHO, Mouctar, 1992. « Le Chef de l'État à propos de la sécurité », Horoya, vol. 31, nº 3 649 (29 avril - 5 mai), page 6 ; SOW, Ibrahima, 1992. op. cit.
[19] Soussou, peulh et malinké sont le nom des trois ethnies les plus répandues en Guinée.
[20] Les chiffres sont issues du dépouillement de l'enquête sociographique sus-citée.
[21] L'exercice était réalisé sous ma direction par les étudiants de la Faculté de lettres et de sciences humaines, option Rédaction d'administration et journalisme, à l'Université Abdel-Gamal-Nasser de Conakry.
[22] Le Lynx est un hebdomadaire satyrique indépendant, né quelques mois plus tôt et reconnu pour sa grande liberté de ton.
[23] Ainsi que peuvent le faire croire des thèses comme celle d'Ékambo, qui -- en fait -- parle davantage de circulation de l'information par temps de dictature zaïroise... que de rumeur. Cf. ÉKAMBO, Duasenge Ndundu, 1985. Radio-trottoir. Une alternative de communication en Afrique contemporaine, Louvain-la-Neuve (Belgique), Cabay, coll. « Questions de communication », 238 pages.
[24] Conakry compte 1,5 millions d'habitants, soit à peu près autant que Bruxelles, Montréal ou Bordeaux...
[25] Il existe un " bon usage " des contes, par exemple. Cf. PAULME, Denise, 1976. La mère dévorante. Essai sur la morphologie des contes africains. Paris, Gallimard, coll. « Tel », 321 pages. Ainsi, dans certaines sociétés, « les contes se rapportent la nuit, jamais le jour. Certaines sociétés les proscrivent pendant l'hivernage... », etc. (page 10). Parfois même il existe des « spécialistes » de la parole, tels les griots qui ne sont nullement des chanteurs mais plutôt des diseurs accompagnés parfois de musique. Cf. CAUVIN, Jean, (1980) 1991. Comprendre la parole traditionnelle. Paris, Saint Paul, coll. « Les classiques africains », nº882, 87 pages.
[26] VILLENEUVE, Roland, 1973. Le musée de la bestialité, Paris, Veyrier, pages 9 à 13.
[27] ÉQUILBECQ, Victor François, 1972. Contes populaires d'Afrique occidentale, Paris, A. Maisonneuve, pages 326 à 327 [2e éd. de Essai sur la littérature merveilleuse des Noirs suivi de Contes indigènes de l'Ouest africain français, Paris, E. Leroux, 1913-1916, 3 vol.]
[28] CHÉBEL, Malek, 1995 : 665. Encyclopédie de l'amour en Islam. Érotisme, beauté et sexualité dans le monde arabe, en Perse et en Turquie, Paris, Payot & Rivages, 707 pages
[29] RACHEWILTZ ( de), Boris, (1965) 1993. Éros noir -- Moeurs sexuelles de l'Afrique de la préhistoire à nos jours, Paris, (La jeune Parque) Le terrain vague, pages 283.
[30] En 1925, Jean Rouch parle de « Conakry, la plus belle ville coloniale du monde » Cf. ROUCH, Jean, 1925 : 117. Sur les côtes du Sénégal et de la Guinée, Paris, Société des éditions géographiques, maritimes et coloniales, 184 pages.
[31] LEWIN, André, 1984. La Guinée, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 127 pages.
[32] THEROUX, Paul, 1990. My Secret History, New York, Ivy Books, 464 pages.
[33] CLOAGUEN, Pierre et al., 1990. Le Guide du routard -- Afrique noire, Paris, Hachette, 260 pages.
[34] Michel de Certeau cité par ADAM, Jean-Michel, 1985 : 11. Le texte narratif -- Traité d'analyse textuelle des récits, Paris, Nathan, 239 pages.
[35] DUMONT, Louis, 1983 : 28. Essais sur l'individualisme -- Une perspective anthropologique sur l'idéologie moderne, Paris, Seuil, 267 pages.
[36] BALANDIER, Georges, (1974) 1985 : 211. Anthropo-logiques. Paris, (PUF) Livre de poche, 319 pages.
[37] LÉVI STRAUSS , Claude, 1961 (entretien avec G. Charbonnier) : 39. Entretiens avec Claude Lévi Strauss. Paris. « Les règles de la parenté et du mariage, les échanges économiques, les rites et les mythes, peuvent souvent être conçus sur le modèle de petites mécaniques fonctionnant de manière très régulière. » (ibid., p. 43)
[38] Mais la rumeur courait depuis longtemps déjà, puisqu'on en trouve les premières traces en 1977 dans une ville minière voisine. Un récit identique a circulé à Kamsar en 1977 (témoignages multiples, dont S.D., 42 ans, inspecteur financier et comptable).
[39] La crainte ou plutôt le refus de l'étrangéité n'a certes échappé à aucun observateur car tous les articles de presse publiés à ce sujet (SOW, CONDÉ, KOULIBALY, WILLIAM, DIALLO, AFP) mentionnent que les victimes de la population sont des jeunes femmes arborant une tenue non traditionnelle.
[40] SOW, Ibrahima, 1992. op. cit.
[41] ATAOULAYE, Dr, 1992. « Mutations socio-culturelles et maladies sexuellement transmissibles », Horoya, vol. 31, nº 3 626 (7-9 janvier), page 8.

 

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